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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

Comme l’église avait d’abord toléré ces fêtes et qu’elles plaisaient beaucoup au peuple, puisqu’elles lui donnaient en même temps un repas et un spectacle, les évêques eurent beaucoup de peine quand ils voulurent plus tard les abolir. À Hippone, par exemple, le peuple avait coutume de tenir table ouverte dans l’église le jour de l’Ascension. Saint Augustin résolut de faire ses efforts pour l’en dissuader, et il le harangua vivement à ce sujet deux jours d’avance. Le peuple pleura beaucoup, ému par l’éloquence de saint Augustin ; mais deux jours après, le matin de la fête, ceux qui avaient le plus pleuré vinrent pour dresser leurs tables dans l’église. Saint Augustin y courut et les harangua de nouveau ; le peuple lui répondait qu’à Rome même, dans l’église Saint-Pierre, il y avait des festins, et des festins moins décens que les leurs[1]. On contait même qu’une dame romaine, sainte Pauline, étant morte, son mari avait fait dresser en son honneur, dans la basilique de Saint-Pierre, des tables servies pour les pauvres avec grande abondance. Saint Augustin fit de nouveaux efforts d’éloquence, et il réussit à les persuader. Comme il était surtout important d’occuper le peuple pendant cette journée, il l’engagea à revenir à l’église dans l’après-midi ; et là, faisant de saintes lectures, qu’il interrompait par d’éloquentes digressions, chantant les psaumes qu’il avait choisis et qui répondaient à son intention, il tenait le peuple attentif et charmé, quand tout à coup les chansons et les cris des donatistes, qui célébraient dans leur église les festins et les débauches accoutumées, retentirent jusqu’au milieu de l’assemblée, et vinrent ébranler les bonnes dispositions de la foule. Alors saint Augustin, reprenant la parole : « Les joies grossières et sacriléges des hérétiques vont rehausser encore, aux yeux de Dieu, la joie sainte et pure de notre réunion : ici le banquet spirituel de la foi chrétienne ; là, les appétits gloutons stupidement rassasiés. Quelle distance entre eux et vous, quoique vous entendiez leurs chansons impies ! quelle séparation qui durera jusqu’au dernier jour ! car c’est d’eux que l’apôtre a dit : « Malheur à ceux qui font un dieu de leur ventre ! la nourriture appartient au

    dans la Grande-Bretagne : « Ne supprimez pas les festins que font les Bretons dans les sacrifices qu’ils offrent à leurs dieux ; transportez-les seulement le jour de la dédicace des églises ou de la fête des saints martyrs, afin que, conservant quelques-unes des joies grossières de l’idolâtrie, ils soient amenés plus aisément à goûter les joies spirituelles de la foi chrétienne. » Lettres de Grégoire-le-Grand, liv. IX, lettre 71.

  1. « De basilicâ beati apostoli Petri quolidianæ vinolentiæ proferebantur exempla. » (Lettre 29, t. II, p. 77.)