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offensive et défensive, un élément d’influence et de fortune. « L’ignorant, dit un de leurs vieux proverbes, se donne beaucoup de peines et n’arrive à rien ; l’homme habile atteint facilement son but, » et nul homme ne leur semblait plus habile que celui qui pouvait, soit par les leçons de son père, soit par ses propres études, acquérir la science magique. Tandis que les Scandinaves portaient sur toutes les côtes étrangères les signes sanglans de leur bravoure, les Finlandais s’illustraient au loin par leur sorcellerie. L’historien suédois Olaus Magnus la signale en termes bien précis[1] ; Saxo le grammairien et Snori Sturleson en citent plusieurs exemples dans leurs livres, et Tacite a très vivement caractérisé les effets de cette sorcellerie, quand il dit en parlant des Finlandais : {{lang[la|Securi adversus homines, securi adversus deos}}. Les sorciers de Finlande bravaient la terre et le ciel ; ils pouvaient jeter un nuage sur le soleil, soulever les vagues de la mer, faire mugir la tempête, ou enfermer le vent dans un sac de cuir et le vendre aux navigateurs comme une provision de voyage. Ceux qui se dévouaient à cette honnête profession de sorciers jouissaient d’une haute considération et d’un redoutable ascendant ; on les recherchait et on les craignait ; ils avaient, comme tous les savans des écoles, leurs disciples et leurs sectateurs, et, comme tous les puissans de la terre, leurs courtisans et leurs favoris. Malheur à qui semblait douter de leur expérience, à qui osait affronter leur colère ! Ils pouvaient déchaîner contre lui la peste et la famine, lancer dans sa demeure les sangliers farouches et les ours affamés, renverser sa barque sur les vagues, anéantir ses moissons, faire périr ses troupeaux. Que dis-je ? ils pouvaient même invoquer contre lui l’empire des morts, car la terre et l’air, les régions visibles et invisibles, l’onde et le feu, obéissaient à leurs enchantemens. Mais si on savait les prendre adroitement, s’insinuer dans leurs bonnes graces, leur donner à propos une pièce d’argent, ces souverains des élémens étaient les meilleures gens du monde. Ils vidaient une cruche de bière comme de simples mortels, et acceptaient sans difficulté un témoignage palpable d’estime ou de reconnaissance. On pouvait alors attendre d’eux toutes sortes d’agréables services. Ils guérissaient les maladies, ils retrouvaient les bestiaux égarés dans les bois, les objets volés, et quelquefois même le voleur. On venait les consulter de loin dans les divers accidens de la vie, et, quand ils se présentaient à la porte d’une maison, on accourait au-devant d’eux avec respect.

Le christianisme n’effaça point ces grossières erreurs d’un peuple ignorant et crédule. Les sorciers, proscrits par les prêtres, continuèrent long-temps encore à pratiquer leurs maléfices, et la Finlande garda durant plusieurs siècles sa vieille réputation de contrée ensorcelée. Pendant la guerre de trente ans, on disait en Allemagne que Gustave-Adolphe avait parmi ses troupes une compagnie de Lapons qui, par ses enchantemens, assurait le succès de ses

  1. « Aquilonis regio, Finlandia ac Lapponia ita erat docta maleficiis olim in paganismo. »