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dant ces cinquante ans, elle a créé plus que des ingénieurs habiles, plus que des artilleurs expérimentés, plus que des savans ; elle a créé un esprit dont sont imprégnés, selon la nature de leur intelligence, tous les hommes qui sont sortis de cette école. Quelle que soit la différence des temps, les diverses générations de l’École Polytechnique ont toutes un caractère particulier qui leur est commun. Elles ont une parenté d’intelligence qui se distingue entre toutes les autres. Il n’est personne, si l’œil de son esprit est tant soit peu exercé, qui ne reconnaisse, au bout d’une demi-heure de conversation, que son interlocuteur est un ancien élève de l’École Polytechnique. Il y a un accent qui l’accuse.

Quel est l’esprit de l’École Polytechnique, et comment cet esprit peut-il s’accorder avec l’esprit religieux de l’Orient ? Quelques exemples expliqueront cela mieux que beaucoup de raisonnemens. On sait que, dans les essais de religions nouvelles tentés de nos jours, les disciples les plus fidèles et les plus distingués de ces cultes nouveaux sortaient de l’École Polytechnique. Assurément, les fondateurs de l’école ne pensaient guère qu’il dût jamais en être ainsi. Ils auraient plus volontiers prédit l’indifférence des élèves de l’École que leur goût et leur besoin d’avoir une religion ; mais l’esprit de l’homme a des tours et des détours imprévus. Vous l’appliquez aux sciences les plus positives, aux travaux les plus techniques, et vous croyez qu’enfermé dans le cercle des réalités matérielles, il ne sera jamais tenté du spiritualisme : prenez garde ! voici qu’il vous échappe du côté où vous le croyiez le mieux gardé, et qu’il court du premier bond à cette idée de Dieu dont l’homme ne peut supporter tranquillement ni l’absence ni la présence, à cette grande énigme qu’il ne peut jamais résoudre, et qu’il ne veut jamais abandonner, si bien que l’humanité semble passer sa vie à fuir cette idée quand elle l’a trouvée, et à la rechercher quand elle l’a perdue.

Le goût de la religion est entré dans l’esprit de l’École Polytechnique d’une manière analogue aux penchans et aux habitudes de cet esprit. L’esprit polytechnique, habitué à voir le concert et l’harmonie merveilleuse des forces de la nature matérielle, a vu avec répugnance le désordre et la confusion des forces de la nature morale ; il a vu en même temps que la religion savait seule mettre un peu d’ordre et de beauté dans ce chaos. De là son admiration et son goût de religion. M. Duvivier dit d’Abd-el-Kader que c’est un grand organisateur, et par conséquent un organisateur religieux. Ces paroles semblent indiquer la marche que l’esprit polytechnique a suivie pour revenir à