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bien que vaincu et démembré, croit entendre enfin sonner pour lui l’heure du réveil.

Le Tsernogore, que les diplomates laissent dans un si profond oubli, pourrait rendre à l’Occident, et surtout à la France, de notables services. Débouchant sur le magnifique golfe de Kataro, il nous présenterait au besoin une tête de pont en Orient ; nos vaisseaux ne peuvent en effet communiquer directement avec la nation serbe que par ce seul point, car c’est par Tsetinié que l’action de la France peut s’exercer sur les Serbes, de même que l’influence russe a son centre naturel dans Belgrad.

Napoléon avait bien compris de quelle importance il serait pour lui de s’assurer la sympathie des guerriers tsernogortses[1] ; dans ce but, il les avait fait visiter par le colonel Vialla de Sommières. Gouverneur de la province de Kataro de 1807 à 1813, Vialla était censé connaître à fond ces contrées. Plus tard, il publia son voyage[2], qui a été jusqu’à ce jour ce qu’on a pu lire en France de plus complet sur les Monténégrins. Toutefois le gouverneur français de Kataro avait si légèrement observé les Slaves, qu’il prit constamment ceux du Tsernogore pour des hellènes, et vit dans leur langue un dialecte du grec. Malgré ses étranges erreurs sur l’histoire politique de ce peuple, ses exagérations et ses contes sur les mœurs locales, l’ouvrage du colonel Vialla n’est pas entièrement dénué d’intérêt, surtout quand il décrit la cour du vladika, ses relations avec ce prince et avec le gouverneur civil de la montagne, qu’il appelle Bogdane, tandis que tous les documens serbes et les chants populaires le nomment Luka Radonitj. Quant aux données statistiques du voyageur, elles ne peuvent servir qu’à égarer par l’audace même avec laquelle il précise les faits les plus importans. Ainsi il donne au Tsernogore, dont il n’a pu visiter que quelques parties, une étendue de 418 milles carrés, et une population de 53,168 individus, tandis que les Tsernogortses eux-mêmes n’ont jamais su l’étendue réelle de leur pays. Quand on les questionne à ce sujet, ils répondent qu’il faut trois jours pour traverser le Tsernogore à peu près en tous sens. Il est encore moins aisé de déterminer le chiffre exact de la population, car ces montagnards, s’inquiétant peu des femmes et des infirmes,

  1. Nous emploierons les mots indigènes Tsernogore et Tsernogortses de préférence aux dénominations purement italiennes de Monténégro et Monténégrins.
  2. Voyage historique et politique au Monténégro, contenant l’origine des Monténégrins, peuple autocthone ou aborigène et très peu connu. 2 vol. in-8o. Paris, 1820.