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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

commença cette guerre audacieuse, prolongée jusqu’à nos jours, et dans laquelle on a vu mainte fois les prisonniers turcs échangés par mépris contre des pourceaux. Le Tsernogore se constituait peu à peu sur des bases plus solides que celles qui l’avaient d’abord soutenu. La vie patriarcale remplaçait l’existence isolée des pâtres nomades. Les pirates serbes que l’Autriche avait, pendant le XVIe siècle, opposés avec tant de succès à la république de Venise, et qui se sont immortalisés sous le nom d’ouskoks, venaient d’être enfin complètement défaits par le doge Jean Bembo ; ils avaient dû chercher un asile sous l’abri de la montagne Noire, à Nikchitja et à Piperi. Drobniak avait également reçu en 1696 d’autres ouskoks refoulés par les Turcs d’Albanie. Tous ces réfugiés s’organisaient en villages ou confréries et en plèmes ou tribus, sous la présidence d’une plème supérieure, celle des Niégouchi, Serbes du mont Niégoch en Hertsegovine, qui, ayant émigré en masse, n’avaient point cessé de former une grande famille gouvernée par des lois particulières. Le patriarche militaire qui la dirigeait, de concert avec l’évêque ou le vladika, commandait à une tribu beaucoup plus considérable que toutes les autres ; aussi exerça-t-il bientôt de fait le pouvoir suprême dans la petite république. Ce pouvoir émancipateur grandit et se fortifia sans sortir de la famille des Niégouchi, mais en subissant à certains égards les lois de l’élection. Ainsi le chef des Niégouchi pouvait, d’accord avec les anciens de sa tribu, choisir pour successeur celui de ses proches parens qui lui était désigné par son mérite, sans consulter l’ordre de la primogéniture.

La nuit de Noël de l’année 1703 avait affranchi le Tsernogore ; cependant le résultat de cette lugubre nuit restait inconnu de l’Europe. Ce fut Pierre-le-Grand qui, ayant déclaré en 1711 la guerre au sultan, révéla au monde l’existence de ce nouveau peuple. Pierre avait cherché à soulever contre les Turcs tous les chrétiens de l’Orient : les seuls Tsernogortses répondirent à son appel. Un chant historique retrace avec énergie l’enthousiasme qui accueillit dans le Tsernogore cette insurrection populaire. Le chant s’ouvre par la lettre du tsar, que l’envoyé moscovite, Milo-Radovitj, lit à Tsetinié, dans un grand sobor de tous les glavars de la montagne. L’empereur russe, après avoir raconté ses victoires remportées sur le roi de Suède, la journée de Pultava, la trahison et la mort de Mazeppa, finit en disant :

« Maintenant le Turc m’attaque avec toutes ses forces pour venger Charles XII et pour complaire aux potentats de l’Europe ; mais j’espère dans le Dieu tout