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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

lutte engagée par son peuple, seul et sans alliés, contre toutes les forces de l’Autriche, se hâta de lancer l’excommunication sur ceux qui continueraient la guerre, et les pieux montagnards cessèrent à l’instant les hostilités, non cependant sans emporter avec eux à Tsetinié les têtes coupées des grenadiers autrichiens, qu’ils firent sécher au soleil sur les poteaux de la palanke, où on les voit encore.

La tâche des guerriers était accomplie ; celle des poètes commençait ; ils rendirent justice au brillant courage du lieutenant Roszbach, qu’ils appelèrent le grand voïevode borgne, et à ses chasseurs, loups intrépides qui mériteraient de combattre avec les braves du tsernogore. « Toutefois, mort à leurs chefs ! ajoutaient-ils ; mort à ces impies qui, niant tous les droits humains, veulent dépouiller le voisin de son héritage, de la maison où ses enfans sont nés, et que Dieu lui a ordonné de défendre comme le berceau futur des enfans de ses enfans ! Heureusement les fusillades, qui la nuit pleuvaient de nos montagnes comme des nuées d’étoiles filantes, et le rapide mouvement de nos sabres, ont fait reculer ces violateurs de femmes, ces maîtres des châteaux de la côte verte et de la mer, qu’ils ont enlevée aux fils du Tsernoïevitj Ivo. » Le seul regret des iounaks était de ne pouvoir continuer en Dalmatie, d’intelligence avec leurs frères maritimes les Morlaques, une guerre de haïdouks contre l’Autriche. Ils pensaient que cette puissance finirait par se lasser et leur concéderait ces quelques lieues de côte au sud de Boudva, dont elle ne tire aucun profit, et qui suffiraient pour donner au Tsernogore une existence européenne.

Loin de songer à de pareilles concessions, le cabinet de Vienne profita des dispositions pacifiques de Pierre II pour traiter avec lui de l’achat de ses couvens de Staniévitj et de Podmaïni, propriétés privées du vladika, qui, sans l’aveu du peuple, furent vendues avec toutes leurs dépendances en mai 1839. Staniévitj, qui n’est qu’à deux lieues de Boudva, avait servi pendant près d’un siècle de résidence aux vladikas, et Pierre Ier ne l’avait évacué qu’au temps de sa lutte avec les troupes françaises, dans la crainte d’être fait prisonnier par la garnison de Boudva et mené en France. Forte de ses acquisitions nouvelles, l’Autriche demanda une délimitation solennelle des frontières : la Russie, qui a intérêt à défendre les petits peuples gréco-slaves, pourvu qu’ils ne s’agrandissent pas, fut acceptée comme arbitre par les deux états belligérans. M. Tchefkine, consul russe d’Orchova, partit en mars 1840 pour le Tsernogore, afin d’y régler les vraies limites entre ce pays et la Dalmatie.