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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Podgoritsa au nombre de trois mille, battirent partout leurs ennemis, dévastèrent les campagnes au-delà de la Moratcha, et forcèrent ceux des Mirdites de Hoti, qui avaient jusqu’alors joui d’une existence indépendante, à se confédérer avec eux. Une partie des Klementi catholiques refusa seule de se confédérer, et encore aujourd’hui c’est cette fraction dissidente qui empêche les chrétiens libres d’Albanie de demander leur union avec la montagne Noire.

Quant aux Albanais musulmans, ils perdent chaque année du terrain. La guerre contre eux se fait sans aucune pitié ; les prisonniers même sont massacrés, jusque dans Tsetinié, malgré le veto du vladika, et les poètes ne craignent pas de célébrer ces cruautés :

« Le beg Hassan-Lekitj, dit un chant populaire, est en tcheta avec quarante compagnons, il franchit la frontière tsernogortse ; mais voilà qu’il passe au pied d’un rocher sur lequel Voutchetitj Marco était posté avec trois braves. Marco ajuste le beg Hassan, qui tombe sans mouvement sur l’herbe : — Jetez vos armes et mettez les mains derrière le dos, ou vous êtes tous morts ! crie aux Turcs consternés le terrible Marco. Les Turcs obéissent ; et, descendant de son embuscade, Marco les lie tous, prend la carabine du pauvre Hassan, et pousse devant lui, comme du bétail, ses quarante prisonniers jusqu’au village de Tsernitsa. Là, dédaignant une énorme rançon que ses captifs lui promettent, il les décapite tous dans la cour du tribunal de sa tribu, et orne de leurs têtes la koula du serdar. Que Dieu donne à Marco bonheur et santé ! »

De pareils exploits méritent peu d’être encouragés, au moins dans leurs résultats : aussi le vladika, qui avait cru jusqu’en 1840 pouvoir distribuer des médailles russes à ses braves, reçut-il de Pétersbourg d’amers reproches, et on l’invita à s’en abstenir désormais. Alors il fit fondre hardiment des croix d’honneur tsernogortses, qu’il décerne aujourd’hui, au nom du sénat et du peuple, à ceux qui ont bien mérité de la patrie. Les tchetas contre l’Albanie continuent, et les hommes clairvoyants du gouvernement turc comprennent de plus en plus l’impossibilité de garder Skadar. Le grand lac qui baigne les murs de cette ville n’est presque plus accessible aux barques musulmanes. Outre les îles antérieurement conquises de Saint-Nicolas, Stavena et Morakovitj, les Tsernogortses ont envahi en 1838 une île longue de plusieurs lieues où est le village de Vranina ; en 1840, ils se sont retranchés dans un îlot de rochers encore plus rapproché de Skadar, et qui leur sert aujourd’hui de poste d’observation. La montagne Noire peut à bon droit regarder ce beau lac, où aboutissent tous ses torrens, comme son complément naturel. La mission de la force est ici, comme partout, de faire triompher la nature.