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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

forme qu’il n’avait pu qu’ébaucher. Le nouveau souverain avait été pâtre dans son enfance, long-temps sa nature rêveuse l’avait fait passer pour un fainéant. Envoyé plus tard à Pétersbourg, il y avait revu une éducation très soignée, et son esprit supérieur s’était ouvert aux connaissances les plus variées. Parmi les langues qu’il possède, c’est la française qu’il semble préférer ; il ne parle que cette langue avec les étrangers. Son ancien maître de français était encore ces dernières années auprès de lui, et jouissait d’un grand crédit. Pierre II s’intéresse vivement à ce qui se passe dans nos capitales. Plus instruit qu’aucun de ses prédécesseurs, il consacre parfois aux muses ses courts loisirs ; il a publié un volume de poésies intitulé l’Ermite de Tsetinié, et imprimé dans le pays même. Quelque opinion qu’on ait de ses actes comme régent, on ne peut s’empêcher d’admirer cet homme qui se condamne à vivre avec des barbares, après avoir connu les mœurs brillantes de l’aristocratie européenne. C’est afin d’être plus complètement l’illuminateur de sa race, que Pierre consent à mener l’austère et monotone genre de vie de ses aïeux, tout en acceptant l’immense responsabilité d’une révolution jugée indispensable, et en bravant tous les dégoûts, tous les périls qui entourent nécessairement le réformateur d’une société trop éprise de ses vieilles mœurs.

On s’étonne qu’en moins de dix années Pierre II ait adouci la férocité de ses compatriotes, et leur ait fait aimer la vie civile, au point de pouvoir abolir le droit de krvina ou les vengeances héréditaires, punir le vol et restreindre l’usage païen de l’otmitsa (enlèvement des jeunes filles), qui ne sera bientôt plus qu’un fait ancien, comme le dit le vladika lui-même, dont les pieux sermons contre cet usage ont trouvé partout des échos. On le blâme d’agir moins en prêtre qu’en chef impitoyable, et de pousser la rigueur jusqu’à faire exécuter les coupables en sa présence ; mais sait-on s’il pourrait autrement assurer le respect des lois chez une race tellement endurcie ?

Avant le règne de ce hardi réformateur, les procès se vidaient dans la montagne par le sabre ou par des juges choisis au gré des parties. La seule condition requise pour pouvoir juger était une loyauté reconnue ; souvent on ne craignait pas de choisir ses juges même dans la tribu du parti contraire. Quant aux affaires publiques, elles étaient débattues dans les assemblées générales du peuple, auxquelles on soumettait le résultat des assemblées préparatoires qui s’étaient tenues dans chaque nahia, après avoir eu lieu d’abord dans chaque tribu. Bien que soumises à des restrictions de plus en plus