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nombreuses, ces assemblées ne sont point encore abolies, leur vote est toujours reconnu comme la loi suprême ; le plus pauvre citoyen y peut siéger et dire hardiment au plus riche : Ce que tu veux, je ne le veux pas ; et si cet homme obscur a de l’éloquence, son opinion pourra triompher même de celle du vladika tant est grande chez ce peuple la puissance de l’art oratoire. Mallheureusement il s’était introduit dans ces assemblées quelque chose du liberum veto des anciennes diètes slaves. Pour prévenir les désordres que pouvait entraîner un tel morcellement de la souveraineté nationale, le vladika actuel a établi, dès l’année 1831, sous le nom de sénat, un corps législatif suprême, composé d’un président et de douze membres, qui formèrent en même temps le tribunal de dernière instance. Mais cette espèce de cour des pairs du Tsernogore, habitant le palais du vladilka, et formant avec lui un seul pouvoir politique, n’a pu prendre une place si haute dans l’état que la ratification du peuple ne soit pas nécessaire pour les lois fondamentales. Ce parlement est présidé, en l’absence du vladika, par son frère aîné George Petrovitj, habile officier qui a appris l’art de la guerre dans les armées de l’empereur Nicolas, et qui est revenu, en 1837, décoré de plusieurs ordres russes. Son ambition militaire donne quelque ombrage à son frère l’évêque ; il est l’objet d’une active surveillance dans le vieux couvent dont la plus belle moitié lui a été assignée pour palais, et où des appointemens considérables, qu’il tire des caisses de l’état, lui permettent de vivre en prince. Tant d’avantages retiennent dans une soumission, du moins apparente, ce remuant personnage, au moyen duquel plus d’un cabinet se flatte d’introduire la division au Tsernogore. Mais le seul changement que l’Europe pourrait opérer serait de favoriser les vœux secrets du peuple en rétablissant dans la personne de cet habile militaire la dignité de gouvernadour, et en concentrant ainsi dans la même famille régnante les deux pouvoirs politique et religieux.

La cour siége au nouveau monastère que le vladika actuel a fait lui-même bâtir. C’est là que veillent les trente perianitj, guerriers à plumets, l’élite des jeunes gens de la montagne. Quatre canons enlevés aux Turcs défendent l’entrée de cette demeure, à la fois guerrière et monastique ; la poudrière s’élève près du clocher, l’imprimerie avoisine la salle des armures. Au-dessus de la riznitsa (salle épiscopale), qui renferme les costumes, les calices et les ornemens sacerdotaux, on conserve les trophées des batailles, et parmi les dépouilles opimes la tête embaumée du noir Mahmoud. À cinquante pas de cet édifice s’élève une construction oblongue en pierres, mais