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ensemble ne suffit pas pour faire de lui un prince opulent : aussi observe-t-il dans toutes ses dépenses la plus stricte économie.

Pour réaliser ses réformes, Pierre II avait besoin d’un bras et d’une plume infatigables ; il a trouvé l’un et l’autre dans l’habile Milakovitj, dont il a fait son premier ministre. Toutefois la sagesse du ministre n’a pu préserver le maître des angoisses que lui ont causées les révoltes de 1833, 35 et 41, révoltes qui n’ont pu être domptées sans effusion de sang, et dans lesquelles les rebelles ont constamment protesté contre le pouvoir dictatorial de Pierre II, et réclamé le rétablissement de la charge de gouverneur civil. Pour se maintenir contre cette faction acharnée, le vladika a créé, sous le nom de guardia, une gendarmerie mobile, composée d’abord de cent trente cinq hommes, dont il a ensuite élevé le nombre à quatre cent vingt. Ces pandours parcourent sans cesse les nahias, préviennent les soulèvemens, arrêtent les voleurs, et empêchent les guerres privées ; mais de toutes leurs attributions, la plus périlleuse à exercer est l’arrestation des meurtriers. Comme en Orient le foyer est inviolable, ils ne peuvent légalement pénétrer chez un particulier, s’il leur ferme sa porte. Devant cette difficulté, le vladika s’y est pris comme Alexandre en face du nœud gordien ; il fait mettre le feu à la maison du coupable, que les flammes obligent de s’échapper. Mort civilement, dépouillé de ses terres et de son bétail, qui sont remis aux parens de sa victime, le meurtrier s’enfuit avec ses armes, seul bien qui lui reste, et va chercher asile chez les Turcs, à moins qu’il ne soit reçu par quelque tribu d’ouskoks confédérés. Cette justice peu humaine, puisqu’elle dépouille de tous leurs biens les enfans du coupable, est, il faut le dire, d’une application exceptionnelle, elle ne frappe que les meurtriers puissans, qui, aidés de leurs nombreux serviteurs, espèrent pouvoir affronter le blocus des pandours. Pour les criminels vulgaires, qui s’enfuient ordinairement dans les forêts, leurs biens sont épargnés. Lorsque le sénat a condamné l’un d’eux à mort, on prend dans chaque tribu un ou deux guerriers, et tous ensemble tirent sur le condamné, qui se présente au feu sans aucune chaîne, à une distance de quarante pas. S’il tombe, sa tribu ignore qui l’a tué, et ne sait contre qui exercer la vengeance du sang. S’il n’est que blessé, comme il a cependant subi la sentence fatale, il est gracié. Enfin, s’il n’est pas atteint, il s’échappe et passe libre chez les ouskoks. Quelque faible qu’elle soit encore, cette justice publique servira cependant à hâter l’abolition de la justice privée et du droit de krvina.