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travaux actuels, les différences sensibles qui le séparent dans la vie politique, morale, intellectuelle, de la famille française, tout ce qui lui fait enfin un caractère et un génie à part. Il nous reste à dire notre sentiment sur l’avenir de cette nationalité. C’est ici que nous redoublerons de franchise. Il importe à la France de connaître la vérité, nous l’avons dit dès le début ; il faut qu’elle sache ce qu’il y a de solide et de réel au fond de ce fait nouveau, la Belgique indépendante, afin de l’ajuster à ses propres plans d’avenir.

Le problème embrasse deux questions principales. Dans l’hypothèse de la durée du système européen où la diplomatie lui a fixé enfin une place, la Belgique peut-elle exister par elle-même ? Durant aussi long-temps que ce système, n’est-elle point destinée à disparaître dans la fumée du premier coup de canon qui sera tiré sur le continent ? Nous séparerons ces deux questions pour plus de clarté, et nous allons traiter la première.

Il y a une opinion en France (et elle ne s’arrête pas aux limites de tel ou tel parti) qui n’a pu se décider encore à prendre la Belgique au sérieux, et croit toujours qu’il suffira en tout temps pour la faire rentrer dans l’unité française, que les circonstances permettent enfin le remaniement de l’Europe. Cette opinion est considérable à nos yeux, puisqu’elle est l’expression d’un sentiment national. Nous désirons, sans l’espérer, que nos paroles lui aient prouvé qu’elle se nourrit d’une illusion dangereuse même pour la France, en ce qu’elle l’enraie dans les anciennes ornières de sa politique conquérante.

Mais il est une autre opinion plus grave que nous tenons surtout à éclairer : c’est celle qui, sans nier absolument qu’un peuple pouvait s’élever au-delà de la frontière du nord à la faveur des évènemens diplomatiques survenus après 1830, pense que géographiquement la Belgique n’est pas née viable, qu’elle ne saurait dénouer toute seule les difficultés de sa situation industrielle et commerciale, qu’entraînée irrésistiblement par la pente des intérêts matériels, elle devra tôt ou tard, au sein même de la paix, se jeter dans les bras de celui de ses voisins qui peut le mieux le satisfaire. C’est à cette dernière opinion que nous soumettons les considérations qu’on va lire.

La position du nouvel état belge en face des intérêts matériels, la voici en peu de mots. Des industries créées par le blocus continental, démesurément accrues par l’action directe du roi Guillaume Ier, se sont trouvées tout à coup hermétiquement enfermées, lorsqu’une