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rues, dit le chief-constable d’Oldham, cela ferait cent fois plus de sensation que le meurtre d’un mineur. Ce sont des hommes sans aucune éducation, ils n’aiment que les combats de coqs et de chiens, les courses de chevaux ; la plupart sont adonnés au jeu et à la boisson. Il y en a tant qui meurent de mort violente, que l’assassinat est devenu pour eux un accident tout-à-fait naturel. Au bout d’un jour ou deux, les femmes et les enfans du mort semblent n’y plus penser. On n’en parle que sur le moment, et l’on se contente de dire : Oh ! ce n’est qu’un mineur[1] ! »

Si les mineurs recevaient quelque instruction, si la religion leur inculquait des principes d’ordre et de moralité, leur condition matérielle serait loin d’être mauvaise. Leurs salaires sont élevés. Il y a beaucoup de familles où le père gagne par semaine 23 sh. (28 fr. 75 c.) ; le fils aîné, en qualité de putter, 20 sh. (25 fr.) ; un autre enfant, comme driver, 7 sh. (8 fr. 75 c.) ; un autre, comme trapper, 5 sh. (6 fr. 25 c.), ce qui fait par semaine un revenu de près de 70 francs. Malheureusement, le jeu et la boisson absorbent la plus grande partie de leurs salaires. L’ivrognerie est le vice le plus commun parmi eux. Ils passent tout le jour où ils reçoivent leur paie dans les ale-houses ; quelques-uns y dépensent tout ce qu’ils viennent de recevoir, s’inquiétant peu de leur femme et de leurs enfans, ni comment ils pourvoiront aux nécessités de la semaine. Dans le Lancashire, on voit, dans la nuit du samedi, les ale-houses remplies de jeunes enfans qui y retournent le dimanche aussitôt qu’elles se rouvrent. De violentes disputes, des combats sanglans accompagnent cette débauche, qui altère profondément la santé et surtout l’intelligence de cette classe. Aussi a-t-on observé que, dans les troubles populaires, les mineurs sont toujours les plus turbulens.

On voit donc que nulle part les effets du travail excessif et prématuré des enfans sur la condition physique et morale des classes ouvrières ne sont plus funestes que dans l’industrie houillère. Devant les faits révélés par l’enquête de lord Ashley, on ne pouvait tarder plus long-temps à appliquer aux monstrueux abus qu’elle dévoilait le remède déjà essayé par la loi sur le travail des enfans dans les manufactures. À la fin de la dernière session, lord Ashley présenta à la chambre des communes un bill rédigé dans ce but, qui fut voté à l’unanimité ; mais ce bill subit dans la chambre haute des amendemens que parvint à faire triompher l’opposition de lord Londonderry, qui est un des plus riches propriétaires de mines du comté de Durham. Néanmoins, tel qu’il est sorti du vote de la chambre des lords, l’act de lord Ashley assure de grandes améliorations. Le travail des femmes dans les mines est prohibé ; les enfans ne pourront y descendre qu’à l’âge de 10 ans, et jusqu’à 13 ils ne devront pas travailler plus de trois jours par semaine. Enfin les exploitations souterraines seront soumises à la surveillance des factories-inspectors.

Lord Ashley a terminé le discours qu’il a prononcé en présentant son bill par des paroles qui méritent d’être recueillies sur les dispositions des ouvriers

  1. Report, p. 141.