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EXPÉDITION DU CAPITAINE HARRIS.

pauvres Griquas, chez qui personne n’atteint la hauteur de cinq pieds anglais ; mais ce qui peut les consoler, c’est que d’autres tribus aussi, humiliées, errantes, dispersées, tremblent au seul nom de Moselekatse : telle est celle des Bechuanas, que nos voyageurs eurent bientôt l’occasion de visiter dans leur kraal de Motito. Les restes de cette horde décimée ont été recueillis par les missionnaires, qui sont venus à bout de les habiller tant bien que mal ; les femmes aiment passionnément à se barbouiller de rouge, à enduire de graisse et d’huile leurs visages et leurs vêtemens de cuir ; leurs cheveux laineux sont séparés et tordus en petites cordes à l’extrémité desquelles sont suspendus des morceaux de métal. Les colliers de verre forment la véritable richesse d’un Bechuana, mais tous sans exception portent le cure-dent d’ivoire et la gourde-tabatière. Leur langage est d’une remarquable douceur, abondant en voyelles et en labiales, ce qui sans doute contribue à rendre les inflexions de leur voix agréables et harmonieuses, car les intonations dépendent de l’organisme de la langue.

On arrêta les chariots afin d’entrer en marché, d’échanger les articles anglais contre les peaux et les fourrures ; mais, pour nous servir d’une expression orientale, sans doute familière au capitaine Harris, le bazar n’était pas chaud. Les voyageurs fermèrent boutique, voyant que la tabatière avait inutilement circulé de main en main ; alors un Bechuana voulut s’approprier un verre comme indemnité d’un prétendu dommage causé à son champ, un autre s’assit sur le timon et refusa d’en descendre ; on se querella, il y eut presque collision, et quelques canardières furent sorties de la caisse aux armes… Mais déjà tout était calmé, et il ne restait plus trace de Bechuanas.

Dans cette contrée lointaine et sauvage, nous nous plaisons à trouver le nom d’un Français, M. Lemue, missionnaire, et son agréable femme, dont les soins obligeans et l’accueil hospitalier paraissent avoir laissé un profond souvenir dans l’esprit du capitaine et de son compagnon.

Cependant le bétail avait souffert, les chevaux s’étaient maintes fois évadés durant la nuit ; les déboires, les ennuis, les inquiétudes, les vents contraires d’un voyage sur la terre ferme sont marqués çà et là dans le journal de route. Ici c’est un Hottentot qui se jette sur le baril au genièvre et s’enivre au point de ne plus pouvoir se tenir sur ses jambes ; là ce sont ses compagnons qui, pour montrer leur ardeur au travail et le bon état de leurs facultés mentales, brisent le timon d’un chariot. Une autre fois, tous se mutinent à l’instigation