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comme l’on respire. À côté de son ironie perpétuelle et extérieure, il a eu dans le for de sa conscience un culte sérieux et qui ne s’est point démenti pour ce qui lui a paru respectable, comme éternel et capital objet d’intérêt pour l’esprit humain. Il a voué sérieusement sa vie à la recherche du vrai, à l’amour du beau. S’il a voulu donner à la vérité un air futile et narquois, ridendo dicere verum, c’est un peu par envie d’être neuf et de ne ressembler à personne, par amour de ce qu’il appelle le divin imprévu, un peu par haine du pédantisme et de la pesanteur des gens qui l’ont précédé dans cette recherche, un peu aussi par démangeaison taquine et pour se moquer de la futilité ignorante du vulgaire des lecteurs en ayant l’air de leur dire : Voilà tout ce que vous pouvez digérer et supporter. Il le dit même, et plus d’une fois, en termes à peu près aussi explicites et certainement plus piquans.

Ce mépris du vulgaire est encore chez lui un trait persistant, et qu’il a su lier à la dignité de son caractère, par le dégoût vrai et actif qu’il en a tiré pour les succès qui viennent d’un grand achalandage et pour les pratiques au moyen desquelles on l’obtient. « Je voudrais, dit-il quelque part, écrire dans une langue sacrée. » Ailleurs il invoque un lecteur unique et qu’il voudrait unique dans tous les sens ; ailleurs encore il se relâche de cette rigueur hyperbolique, et va jusqu’à dire, en invitant toute autre espèce de lecteur à fermer le livre, « qu’il lui serait doux de plaire à trente ou quarante personnes de Paris, qu’il ne verra jamais, mais qu’il aime à la folie sans les connaître, par exemple quelque jeune Mme Roland lisant en cachette quelque volume qu’elle cache bien vite, au moindre bruit, dans les tiroirs de l’établi de son père, lequel est graveur de boîtes de montres. » Sur la dernière page de plusieurs de ses ouvrages, il inscrit, en grandes capitales, cette dédicace :

TO THE HAPPY FEW,

et ce petit nombre d’heureux, nous l’espérons, se sera rencontré en effet. Mais le grand nombre a été repoussé : est-ce par de tels moyens ? Sans doute, ces déclarations ou d’autres semblables ne suffisent pas, et si M. de Stendhal s’en était tenu avec tant d’autres à paraphraser ainsi le odi profanum vulgus, on pourrait n’y voir que les boutades d’une impertinence quelque peu fastueuse, et peut-être un moyen de recouvrir d’un grand appareil de fierté quelque dessous de table dont l’ombre abriterait de réelles bassesses. D’ailleurs, jeter des mé-