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fois cette manière ne forme point un style ; il a du trait, de la soudaineté, de vives et pénétrantes clartés, il a le génie du mot, il n’a point l’art de la page. Voilà comment nous entendons qu’il n’est point un écrivain, et cela, même en faisant abstraction des incorrections qui fourmillent surtout dans ses premiers ouvrages.

M. Beyle a, dans ses écrits, touché du bout de la plume à bien des choses, à la religion, à la morale, aux gouvernemens, aux mœurs, aux beaux-arts ; tout cela s’est lié dans sa tête, comme cela se lie en effet dans la réalité, aux conditions les plus essentielles du bonheur de l’homme. Ce serait être infidèle envers les idées de l’auteur que de vouloir les réduire dans l’analyse à une rigoureuse déduction logique, et donner à cette philosophie légère des allures d’école que l’auteur a eu surtout à cœur de lui épargner. Vauvenargues a dit que toutes les grandes pensées viennent du cœur. En ajoutant à ce mot que toutes les grandes jouissances viennent aussi du cœur, en d’autres termes que le principe de toute grandeur et de tout bonheur pour l’homme est dans ses passions, ou plutôt dans l’énergie de leur foyer, on aurait, je crois, toute la philosophie de M. Beyle vue par son plus grand côté. Cette proposition peut résumer la philosophie d’un sot comme celle d’un grand génie ; elle n’a de valeur que par le parti qu’on en tire. M. Beyle en a tiré une foule d’aperçus très ingénieux, très bien liés, mais il n’a poussé que vers certains points où sa fantaisie l’entraînait, et encore, dans ces directions qu’il a prises, n’a-t-il poussé que jusqu’au bout de sa fantaisie. Dans tout ce qui n’est pas les beaux-arts, partie qu’il a spécialement fouillée, ses vues, arrêtées trop court, s’éteignent, faute d’issue, dans des impasses et parfois même s’entre-détruisent. Ainsi il ne sait que faire de la liberté et de la monarchie ; tantôt c’est la monarchie qui est mortelle aux beaux-arts en étouffant les caractères, en brisant les ames des artistes, témoin la France de Louis XIV et surtout la France de Louis XV, qui recueille tous les fruits monarchiques que l’autre a semés ; tantôt c’est la liberté, en ouvrant à ces mêmes caractères d’autres voies de développement et d’activité, témoin l’Union d’Amérique. Lui restera-t-il au moins le gouvernement tempéré, le gouvernement des deux chambres, pour nous servir de ses propres termes ? Il le porte souvent aux nues comme une panacée souveraine ; puis il le répudie comme il a répudié les autres, par cette raison qu’il est trop sage, trop économe, qu’on ne trouvera jamais une chambre de députés votant vingt millions pendant cinquante ans de suite pour construire un Saint-Pierre de Rome, et qu’il tue l’énergie en ôtant