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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

le danger. « Sous le gouvernement des deux chambres, dit-il encore, on s’occupe toujours du toit, et l’on oublie que le toit n’est fait que pour assurer le salon. » Il va plus loin, et, suivant lui, la liberté détruit en moins de cent ans le sentiment des arts. « Ce sentiment est immoral, car il dispose aux séductions de l’amour, il plonge dans la paresse. Mettez à la tête de la construction d’un canal un homme qui a le sentiment des arts ; au lieu de pousser l’exécution de son canal raisonnablement et froidement, il en deviendra amoureux et fera des folies. » Croyez-vous que M. Beyle plaide contre ce sentiment immoral ? Non. Entre les beaux-arts d’une part, la liberté et la morale de l’autre, son choix est fait. Il ne plaisante pas autant qu’il en a l’air lorsque, à propos des tyranneaux de l’Italie du XVe siècle, il dit : Ces petits tyrans que je protége. Ainsi, au nom des beaux-arts, au nom du bonheur et de la grandeur de l’homme, il veut du danger, il veut des passions fortes et des passions libres du joug, et, ces passions une fois en mouvement dans la société, il ne conçoit à celle-ci d’autre organisation que celle qui résulte du mécanisme représentatif, lequel a pour effet de les neutraliser, parce qu’il est le joug, le niveau et la force de la loi personnifiés. Or, nous disons qu’il y a ici une impasse, et que M. Beyle le logicien, s’arrêtant à son utopie constitutionnelle, après sa théorie sur les passions, n’a point poussé jusqu’au bout de sa logique. Il est vrai que M. Beyle déserte même son utopie constitutionnelle ; mais alors que nous donnera-t-il ? Tout pesé, je pense qu’il n’a voulu que donner des coups de lancette à la restauration. Tous les passages où il parle de Napoléon avec les expressions qu’il emprunte ironiquement aux ennemis de l’empereur déchu, pour en retourner l’effet contre eux-mêmes[1], semblent annoncer que ses affections intimes étaient restées attachées aux souvenirs de cette période de sa vie. Ce qui paraîtrait dénoter encore que son libéralisme n’était que de la taquinerie ou une contagion passagère, c’est que, après 1830, il n’en est plus trace dans ses livres, où cependant se retrouvent toutes les idées auxquelles il l’avait mêlé antérieurement. On en pourrait tirer aussi une

  1. Ainsi, après avoir conté malignement qu’une dame à Rome l’a fait appeler en toute hâte, à une heure de nuit, pour lui lire une petite brochure hors de prix dont les copies manuscrites chargées de fautes et de non-sens coûtent jusqu’à 200 fr., et où M. Marcirone, aide-de-camp de Murat, raconte les six derniers mois de la vie de son maître, il ajoute en note : « Plût à Dieu que tous les usurpateurs eussent trouvé le même châtiment ! »