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déjà connues de l’auteur ; mais nous dirons un mot encore sur une brochure que nous avons citée déjà plusieurs fois, Racine et Shakspeare. Cette brochure contient probablement les mêmes choses qu’un ouvrage italien de M. Beyle, Del Romanticismo nelle arti, in-8o, Firenze, 1819, sur lequel nous regrettons de n’avoir d’autre renseignement que ce titre inscrit en tête de l’opuscule français que nous avons entre les mains. Tout le romantisme de M. de Stendhal peut être ramené à cette proposition qui en fixerait aussi le point de départ : les hommes qui ont vu la retraite de Moscou ne peuvent pas avoir goût aux mêmes choses que les aimables gentilshommes de Fontenoy, qui, chapeau bas, disaient aux Anglais : Messieurs, tirez les premiers. Le romanticisme, pour lui, est l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible. Le classicisme, au contraire, leur présente la littérature qui donnait le plus grand plaisir possible à leurs arrière-grands-pères. Racine a été romantique dans son temps, comme Shakspeare dans le sien, et nous ne devons pas plus imiter l’un que l’autre. Seulement, « par hasard, et uniquement parce que nos circonstances sont les mêmes que celles de l’Angleterre en 1590, la nouvelle tragédie française ressemblerait beaucoup à celle de Shakspeare. » Voilà dans quels termes de bon sens et dans quelles limites bien dépassées depuis M. Beyle établissait sa thèse en 1823.

Dès-lors, au reste, il se séparait, en les répudiant formellement, des hommes qui soutenaient à côté de lui le drapeau romantique. Quant aux moyens qu’il demandait pour réaliser cet art dramatique le mieux approprié à nos mœurs et à nos croyances, ils se bornent à ceci : la suppression du vers et la suppression des deux unités de temps et de lieu. « Notre tragédie n’est, dit-il, qu’une suite d’odes entremêlées de narrations épiques ;… la tirade est peut-être ce qu’il y a de plus anti-romantique dans le système de Racine ; et, s’il fallait absolument choisir, j’aimerais encore mieux voir conserver les deux unités que la tirade. » L’esprit français de M. de Stendhal n’a jamais pu s’accommoder beaucoup du vers français ; il verrait probablement sans regret notre langue se réduire à la prose, et laisser à d’autres langues plus richement douées la gloire de la poésie. Il n’ose aller cependant jusqu’à proscrire formellement l’ode, l’épopée, ni surtout l’épître familière et la satire ; mais, rencontrant le vers sur un terrain qui ne lui appartient pas nécessairement, il lâche la bride à une impatience trop contenue, et engage un combat à outrance. Malgré