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LES ORIGINES DE LA PRESSE.

rêts, tous ses métaux qu’il a fondus, et que le creuset de Gutenberg a détruits pour essayer le nouvel alliage ! Le glorieux Schœffer est conduit à l’autel, où, couvert de gloire et d’encre d’imprimerie, il épouse Christine Fustinn.

Gutenberg vieillit et ne sert à rien. Gentilhomme et fier, il vit isolé ; les huit cents gulders ont rapporté des intérêts ; Faust est un homme habile, il connaît les affaires de ce monde. N’ayant plus besoin de son associé, il lui fait un procès. « Rendez-moi deux mille vingt gulders, » intérêts compris. La somme avait fructifié ; huit cents égalaient deux mille, c’est l’arithmétique de l’usure. Gutenberg ne pouvait que perdre son procès : il le perdit, fut exproprié, laissa ses matériaux, ses caractères et ses presses à Faust, secoua la poussière de ses pieds, et quitta Mayence, vaincu par l’or, comme il avait quitté Strasbourg, vaincu par la pauvreté. On ne sait, pendant dix ans, ce qu’il devint[1].

À cinquante-cinq ans, il n’avait pas de pain. Consommée dans une seule œuvre, sa vie s’était perdue. Le prince évêque de Mayence, Adolphe de Nassau, le recueillit par charité en 1465, et lui fit une pension en l’admettant parmi ses gentilshommes. Il consacra encore son argent à travailler à son art favori et sa fierté à le cacher. Tous les historiens de la typographie ont cherché pourquoi Gutenberg n’a pas réclamé, pourquoi aucun livre ne porte son nom ; la cause en est claire. Il était trop gentilhomme pour avouer son génie. Ce don Quichotte d’espèce nouvelle use quarante obscures années à doter le monde de la grande invention et aime mieux être volé par Sancho que de descendre à la plainte ou de s’avouer artisan. Du temps de son association avec Faust, on avait commencé l’impression d’un beau psautier, le chef-d’œuvre de l’art naissant. Il eut la douleur de le voir paraître en 1457, lorsque peut-être il était en prison, ce qui semble assez probable. Pendant ce temps, Faust et Schœffer achevaient leur entreprise, et ces beaux livres qu’ils déclaraient écrits sans plume et faits par un procédé magique étonnaient toute l’Europe. Qu’il nous soit permis de nous figurer les souffrances de cet inventeur pendant les douze années de son noviciat et son angoisse, dans la prison peut-être ; où peut-il avoir été si ce n’est là ? Enfin il

  1. Je m’écarte de quelques hypothèses, spirituellement déduites, d’après lesquelles Gutenberg, endetté, ruiné, chassé par le vieux Faust, aurait fondé à Mayence un atelier rival. Je m’en tiens au texte des documens, à l’absence totale de preuves relatives à ce nouvel atelier, et surtout au train commun des choses humaines qui frappe d’une impuissance incurable l’homme que la fortune a vaincu.