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LES ORIGINES DE LA PRESSE.

pitres égaux suspendus au plafond, qui descendaient au moyen d’un ressort pour supporter le livre que l’on voulait lire. Voilà, dit le bonhomme, une bien délicieuse et savante invention. » C’est dans ce paradis de l’intelligence qu’une foule d’esprits aimables ont vécu voluptueusement, quelques-uns doués de génie et enrichissant l’avenir de leurs idées, d’autres épicuriens innocens de la pensée, tels que ce Hollandais Von Bosch (Dubois), qui fit graver sur l’étiquette de ses livres sa propre personne mollement étendue au milieu de ses chers volumes, avec ces mots en latin pour exergue :

Ce sont là mes forêts : j’y chasse sans fatigue.
Haec nunquam lassat densâ venatio sylvâ.

Ce sont là les gourmets, les exclusifs, les délicats, et je les aime fort.

Mais les vrais et grands résultats de l’imprimerie se trouvent ailleurs. Elle appartient essentiellement au peuple ; elle répand, propage, popularise, divise les connaissances acquises en atomes imperceptibles, et les répand dans l’atmosphère comme un arome subtil qui pénètre en dépit d’elles-mêmes les intelligences les plus vulgaires. L’indépendance de l’esprit en est la conséquence nécessaire, et la facilité de l’insurrection s’y rattache. Tout comprendre, tout savoir ! l’arbre de la science accessible à tous ! Dès le commencement du XVIe siècle, les puissans virent ce que c’était que l’imprimerie ; ils en avaient eu grande admiration : ils en eurent peur ; la censure, inventée par Tibère, fut renouvelée par ce même Borgia qui avait, dans sa bulle, loué avec enthousiasme les « nouvelles lettres inventées pour la commodité des savans. » On détruisit des livres et même des imprimeurs ; on brûla et l’on pendit à Londres, à Paris, à Rome, à Naples, à Saragosse ; résistance frivole et impuissante, prolongée inutilement pendant deux siècles. C’était une digue de jonc tressée par des enfans pour arrêter un torrent des Alpes. Une fois la lumière faite, comment l’éteindre ? Qui donc forcera le jour d’être la nuit ? Les amères censures de Tacite, ce dernier des Romains, ne revivaient-elles pas éclatantes à tous les yeux ? Et quand même Louis XI, ce mauvais homme d’esprit, aurait mal accueilli l’imprimerie, que d’ailleurs il aimait beaucoup, qu’aurait-il pu tenter contre cette seconde délivrance de l’homme, comme l’appelait Martin Luther ? L’imprimerie, c’est la mémoire du genre humain fixée.

Une fois adoptée par l’Europe et parvenue à ce point de maturité, l’imprimerie suit une marche nouvelle et demande un autre histo-