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honteux stratagèmes. Ainsi, je pourrais citer tel auteur dramatique et tel romancier qui mettent aux endroits de leur livre et de leur pièce où ils savent que doit se porter l’attention, soit à la fin, soit au début, quelques phrases élaborées avec soin, et s’en rapportent, pour le reste de l’ouvrage, aux distractions du public. Au milieu de faits empreints d’une pareille dépravation, tout écrivain qui produit au jour une œuvre consciencieuse, n’importe à quelle école littéraire il appartienne, ne saurait être encouragé par trop de marques de sympathie.

L’Académie nous entraîne bien loin, Dieu merci ! du monde d’idées où nous force si souvent à vivre la littérature commerciale. Une de ces paisibles solennités que consacre maintenant, comme aux beaux jours du XVIIIe siècle, une affluence de gens d’élite, avait lieu tout récemment pour la réception de M. Patin. Cinq-Mars, Stello, Chatterton, œuvres de marbre d’où sortent des accens de lyre ! il faut en ce moment vous oublier. Le souvenir de M. de Vigny écarté, on reconnaît dans M. Patin un érudit qui appartient à cette classe instruite et patiente où l’Académie a besoin de se recruter de temps en temps pour mener à fin l’œuvre de son dictionnaire. M. Patin a la réputation d’un habile professeur ; ceux qui font des pèlerinages à la Sorbonne sont tous d’accord sur le mérite de son cours de poésie latine. Il vient de publier récemment une étude soigneusement faite de la tragédie grecque. C’est sur ce dernier titre que nous voudrions particulièrement l’apprécier. Un écrivain qui joint à une érudition de bénédictin des vues élevées et un style chaleureux, M. Charles Magnin, a déjà parlé dans ce recueil des Études sur les tragiques grecs. En quelques pages, M. Magnin trouve moyen d’évoquer devant nos yeux plusieurs des scènes les plus saisissantes des temps antiques, et de donner une solution à un des grands problèmes que la perfection de l’art grec fait naître pour notre esprit. Cette vivacité et cette décision d’intelligence qui placent ce petit nombre de pages au-dessus de maint gros traité sont les qualités qu’on regrette en lisant l’œuvre de M. Patin. Dans une histoire littéraire comme dans toutes les histoires possibles, on cherche des détails ingénieux, formant par leur réunion des tableaux piquans et nouveaux, ou ces considérations hardies qui jettent sur des faits connus déjà des clartés inattendues. La nouveauté des détails et la hardiesse des considérations manquent également aux Études sur les tragiques grecs. M. Patin a perdu la docte bonhomie de Rollin sans savoir prendre cette énergie un peu aventureuse qu’on demande à la critique moderne. S’il ne porte plus la robe, ainsi que le lui a rappelé M. de Barante, il marche comme si c’était d’hier seulement que la Sorbonne eût quitté la robe. Il n’a plus le vieil accent du pays latin dans sa naïveté, il parle en français, quoiqu’il conserve les périodes traînantes ; enfin il ne refuse point de reconnaître le jour qu’ont fait dans la science quelques ardens génies des récentes époques, mais ce jour l’éblouit plutôt qu’il ne l’éclaire. Ses yeux, accoutumés à l’ombre de l’école, je parle de l’école que représentaient MM. Lemaire et Andrieux, soutiennent