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ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE EN FRANCE.

prits, les uns psychiques et les autres physiques, avec lesquels il explique tout, et qui laissent bien loin derrière eux les esprits animaux. Voilà bien des petits êtres ! Mais ce qui diminue la difficulté et prévient l’encombrement, c’est qu’ils ont l’étrange propriété de n’être pas des substances. Voulez-vous comprendre maintenant la mystérieuse union de l’urne et du corps ? Rien de plus simple en vérité : « L’esprit physique qui émane du corps entre en relation avec l’esprit psychique qui ressort de l’ame, et par leur combinaison ils forment une région moyenne qui tient des deux natures. » Ne vous laissez pas effrayer de ce mélange de deux natures contradictoires ; c’est le fond même de la théorie de M. Bautain. M. Bautain n’a pas de ces vains scrupules qui poussent les spiritualistes à établir entre l’ame et le corps une séparation si profonde. On a dit que la spiritualité de l’urne était pour M. Jouffroy une question prématurée ? Son condisciple à l’école normale a su prendre résolument son parti sur ce point ; il introduit tout directement dans l’ame la lumière physique, et en fait un des élémens dont elle se nourrit. « Il en est de même des fonctions de l’intelligence. L’esprit est stimulé par la lumière physique, par la parole et par la lumière intelligible. Il les reçoit sous la dépendance de la volonté, se les assimile, s’en nourrit, et réagit par le regard, par la parole, communique ou transmet ce qu’il a reçu et modifié en lui. Il reçoit la vie du dehors, vit d’elle et par elle, et la rayonne à son tour pure ou corrompue. » En voilà trop, et pourtant comment résister à cette citation : « L’atmosphère est réellement une région intermédiaire où s’opère le commerce de la terre avec le monde supérieur dont elle reçoit la vie. C’est par cette région que les vertus d’en haut arrivent à la terre au moyen du rayon solaire, de la rosée et de la pluie, agens physiques très propres à servir d’organes à l’esprit céleste. » L’auteur, en parlant ainsi, abandonne évidemment l’explication scientifique du christianisme, car il admet une doctrine païenne depuis long-temps condamnée et réfutée par saint Augustin ; mais il rentre dans l’orthodoxie en disant que « le corps humain est une croix désharmonisée, ce qui peut nous faire pressentir pourquoi tout a dû être restauré par le mystère de la croix. » Voilà qui est orthodoxe ; je suis seulement fâché pour le premier père de l’humanité de ce que M. Bautain ajoute que l’homme n’est devenu une ellipse qu’à cause de sa déchéance. Adam n’est pas ménagé par nos philosophes modernes : M. Bautain en fait une sphère, et quant à M. Leroux, il hésite entre un mollusque et un polype.