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REVUE DES DEUX MONDES.

L’Université a de quoi se consoler de déplaire aux feuilles religieuses, si ce sont là les doctrines qui leur agréent ; et elle ne doit pas s’étonner de se trouver panthéiste, s’il est une fois admis que M. Bautain ne l’est pas. Cependant, qui le croirait ? la théorie à la mode dans le clergé, que quiconque n’est pas catholique est panthéiste, a pour véritable père M. Bautain. J’en demande humblement pardon à M. l’abbé Maret ; mais il a été devancé dans la carrière par M. l’abbé Goschler que M. Bautain inspirait directement, Dans une thèse intitulée du Panthéisme, dédiée à M. Bautain, M. Goschler débute ainsi : « Le but de cette dissertation est de démontrer par le fait, en consultant l’histoire de la philosophie et ses œuvres, que, hors la doctrine fondée sur le texte sacré, tous les systèmes métaphysiques ont erré sur la première des vérités philosophiques, l’Être-Dieu, et que tous, en tout temps, depuis l’origine de la philosophie humaine qu’on pourrait dater de la confusion des langues et des esprits dans la plaine de Sennaar jusqu’à nos jours, en tous lieux, dans la vallée des Brahmes, sur les hauteurs des Parses, dans les sanctuaires de l’Égypte et dans les temples de la Grèce ; du Nil au Gange, de l’Indus au Rhin, tous ont abouti à une erreur commune et fatale : cette erreur est le panthéisme. »

Il faut l’avouer, il y a quelque courage à s’embarquer de gaieté de cœur dans la démonstration d’une proposition pareille. Non que la marche qu’on s’est tracée et cette longue suite de siècles puissent effrayer la patience la plus robuste, car il y a des éruditions de tous les degrés. Mais ce résultat auquel on aspire, y a-t-on bien songé ? Et si jamais on démontre que la raison humaine, interrogée par les plus grands génies, depuis l’origine du monde, les a toujours conduits directement et fatalement au panthéisme, à qui pense-t-on porter secours par une telle découverte ? Est-ce à la foi, qui devient ainsi directement contraire à la raison ? Est-ce à la raison, qu’on avertit d’avance qu’elle ne peut échapper au panthéisme qu’en s’abdiquant elle-même et en se condamnant à la contradiction ? Cette étrange théorie n’est heureusement qu’un rêve aussi absurde que téméraire. L’église catholique peut continuer à enseigner la séparation de Dieu et du monde sans choquer la raison humaine ; quant aux philosophes, loin de regarder cette conséquence comme une condamnation de leurs principes s’ils la trouvent au bout de leurs systèmes, ils doivent se sentir de plus en plus confirmés dans la voie qu’ils ont suivie, et jouir avec une sécurité plus entière des fruits et des résultats de leur méthode.