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ÉTAT DE LA PHILOSOPHIE EN FRANCE.

Il faudrait suivre M. Goschler pas à pas dans toute son exposition, et écrire à côté de chaque assertion : faux ou douteux. M. Maret qui s’est acquis une grande célébrité dans le clergé, pour avoir développé plus amplement la thèse de M. Goschler, n’a pas une connaissance plus approfondie des systèmes qu’il veut juger de si haut. M. Maret est un esprit distingué, et il porte dans la discussion une bienveillance et une impartialité qui honorent son caractère ; mais comment ne pas lui dire que l’histoire de la philosophie est une science qui exige des années d’étude et des années, qu’il faut vivre familièrement avec les anciens, compulser les textes, lire les commentateurs, ne se donner ni repos ni trêve ; et qu’encore, au milieu de tous ces systèmes, dont quelquefois il ne nous reste que l’histoire ou des fragmens décousus épars çà et là, on court sans cesse le risque de juger le passé avec nos idées modernes, de remplir une lacune avec ses propres idées, de donner plus à l’imagination qu’à la science ? M. Maret se jette résolument au milieu de tous ces problèmes, et pour achever sa démonstration, il n’a nul souci de ces innombrables textes, ni de cette armée de commentateurs : il prend un manuel publié au collége de Juilly pour aider les enfans à se préparer au baccalauréat. Voilà tout son fonds d’érudition ; ces petites indications sommaires lui suffisent pour juger tous les systèmes de philosophie, et, comme il est trop loyal pour s’en cacher, il le cite à chaque page avec une tranquillité, une naïveté qui ferait dire de tout autre que lui, que c’est là un livre de parti et non un livre de science. Tout au plus se sert-il quelquefois de M. de Gérando, qu’il prend pour une autorité en histoire, et c’est sur cette grande autorité qu’il se fonde pour juger l’école même qui importait le plus à la thèse qu’il soutient, l’école d’Alexandrie. M. Maret ne sait pas qu’une seule des phrases qu’il emprunte à M. de Gérando, sur cette école, est une démonstration sans réplique que M. de Gérando n’a jamais rien compris à cette philosophie. Il est satisfait, il ne sent plus de scrupules quand il a écrit au bas de chaque page, avec une persistance méritoire : Ennéades, passim. Les livres de Plotin s’appellent, en effet, les Ennéades, et il y en a cinquante-quatre !

Depuis que cette démonstration a été faite, l’accusation de panthéisme est devenue un lieu commun contre l’école éclectique, et l’un des argumens dont on se sert pour demander à grands cris la liberté de l’enseignement. L’Université appartient à l’école éclectique, c’est la vérité ; s’il lui reste un petit nombre de professeurs qui ne partagent pas les opinions de cette école, c’est une minorité qui