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pondait à Locke en démontrant l’existence des idées éternelles et nécessaires, et à Kant en expliquant le véritable caractère de cette nécessité, et en rattachant la raison humaine à la nature même de l’absolu.

Le mouvement donné depuis plus de vingt ans par M. Cousin à la philosophie française continue dans l’école éclectique, et ni l’ardeur des études théoriques, ni le zèle de l’histoire ne s’y ralentissent. Les derniers Mélanges de M. Jouffroy, les Essais de M. de Rémusat, sont des travaux dogmatiques qui ont marqué ces derniers temps, et l’on y peut joindre les leçons sur Kant, où la critique a constamment ce caractère magistral qui fait d’une histoire un ouvrage théorique. M. Damiron publie une longue et complète réfutation de Spinosa, ce qui sans doute ne l’empêche pas d’être panthéiste[1]. M. Frank rend à l’histoire un service inappréciable par ses savantes recherches sur la cabale[2], mais peut-être n’est-ce qu’un moyen adroit pour attaquer le christianisme, car on nous a appris dernièrement que les éclectiques ne parlaient du mysticisme que pour combattre les idées chrétiennes sous un faux nom et par un chemin détourné. Nous citerions aussi les excellentes monographies de M. Charles Schmidt, de Strasbourg, l’une sur Tauler[3], l’autre sur Eckart[4], composées d’après des manuscrits importans et qui éclairent d’un nouveau jour une partie considérable du mysticisme, si M. Schmidt, notre compatriote, écrivait pour nous et non pour l’Allemagne. La France est-elle si dédaigneuse de l’érudition, si étrangère à la philosophie, que M. Schmidt ait besoin de s’adresser à nos voisins et nous oblige d’aller ensuite leur emprunter nos propres richesses ? Cet exemple heureusement n’est pas contagieux à Strasbourg. M. Taillandier y publie en français son travail sur Scott Érigène, M. Lehr nous rend Pfeffel, M. Wilm développe et perfectionne encore un mémoire déjà présenté à l’Académie des sciences morales et politiques, et qui fera complètement connaître à la France la philosophie allemande contemporaine. À Paris, une réunion de professeurs publie des éditions populaires des chefs-d’œuvres philosophiques du XVIIe et du XVIIIe siècle : Descartes, Leibnitz, les maîtres avoués et reconnus de l’école éclec-

  1. Compte-rendu de l’Académie des sciences morales et politiques, publié sous la direction de M. Mignet, par MM. Vergé et Loysau.
  2. Mémoires des savans étrangers.
  3. Johannes Tauler von Strasburg, von Carl Schmidt ; Hamburg, 1841.
  4. Meister Eckart, von Carl Schmidt, dans les Theologische studien und critiken ; Hamburg.