Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/396

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
390
REVUE DES DEUX MONDES.

qui impose une aussi grande responsabilité que la chaire de philosophie de Montpellier. Les professeurs ne sont pas les seuls qui aient charge d’ames ; tout homme éclairé exerce nécessairement une influence heureuse ou fatale sur ceux qui dépendent de lui, et certains ministères surtout donnent à ceux qui en sont revêtus une véritable action sur la morale publique. L’école de médecine de Montpellier a toujours été une pépinière de médecins philosophes, et, grace à Dieu, le feu sacré, qu’entretient d’ailleurs une sorte d’esprit national, ne périra pas entre les mains des professeurs qui occupent aujourd’hui les chaires illustrées par les Sauvage et les Barthez[1].

Si la réaction spiritualiste, que nous devons surtout à l’influence de M. Cousin, est heureusement accomplie dans l’enseignement philosophique, il faut l’avouer, la plupart des écoles de droit et de médecine, attachées aux vieilles routines, se traînent obstinément dans l’ornière du sensualisme. Cabanis, Gall et Broussais règnent en souverains dans les chaires de physiologie, et l’on y enseigne encore sans pudeur, au milieu du XIXe siècle, que la pensée est une sécrétion du cerveau. Les jurisconsultes ne valent guère mieux ; la loi positive est tout pour eux, et la loi naturelle un préjugé ; ceux qui devraient enseigner le droit se réduisent à soutenir que le droit n’est rien, ou qu’il n’y a d’autre droit que la force. Ils oublient cette grande parole de Montesquieu : « Dire qu’il n’y a de juste ou d’injuste que ce qu’ordonnent ou défendent les lois positives, c’est dire qu’avant qu’on eût tracé des cercles, tous les rayons n’étaient pas égaux. » Les admirables travaux de MM. Rossi et Troplong détermineront-ils une révolution favorable ? Déjà de jeunes esprits s’élancent avec ardeur sur leurs traces. Quelques symptômes de vie se

  1. Le cours de physiologie de M. Lordat est un véritable cours de philosophie. La pensée, la parole, la volonté, dans leur double rapport d’action et de réaction avec les agens physiques qu’elles emploient, tel est cette année l’objet de son enseignement. Après avoir recherché quelle est la part d’influence que la force vitale et l’agrégat matériel ont sur les opérations de la pensée dans les divers états de l’organisation, il a abordé la théorie du langage, analysé tous ces actes nombreux enchaînés l’un à l’autre qui s’exécutent nécessairement dans l’homme, depuis le projet de convertir une pensée en des sons jusqu’à la réalisation de la parole parfaite, et distingué les diverses sortes d’alalia ou de privations de la parole suivant les diverses sortes d’impuissance qui peuvent survenir dans chacun des anneaux qui composent cette chaîne. M. Lordat se propose d’étudier ensuite les effets de la volonté sur son agent matériel, cette même question qui a tant occupé M. Maine de Biran. Le cours de M. Lordat est suivi avec un empressement extrême, et sa personne comme son talent excitent le plus grand respect et la plus vive sympathie.