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LES COLONIES PÉNALES DE L’ANGLETERRE.

mauvaise ; ceux qui sont condamnés à quatorze ans de déportation deviennent libres à la fin de la sixième année, et à la fin de la huitième s’ils sont condamnés à vie. Cette liberté provisoire leur donne les moyens de travailler pour leur propre compte, en se conformant à certains règlemens. En résultat, et malgré des abus fort graves, l’institution des libertés provisoires a eu quelques bons effets : c’est une prime offerte à la bonne conduite, car le condamné s’expose à rentrer dans l’état de servage, s’il fait un mauvais usage de cette faculté. Les libérés provisoires n’ont pas de peine à trouver du travail dans la colonie ; ils occupent même des postes de confiance, tels que celui de constable dans la police et de surveillant dans les travaux exécutés sur les routes ; ceux qui ont reçu quelque éducation sont choisis pour administrer des propriétés, pour être commis chez des banquiers, chez des avocats ou dans des maisons de commerce, et même pour présider à l’éducation des enfans. On en connaît qui ont épousé des femmes libres et qui ont acquis de grandes richesses ; c’est un libéré provisoire qui dirigeait dans la Nouvelle-Galles le principal journal de la colonie.

La classe des émancipés, sur laquelle repose en grande partie l’édifice social des colonies australes, est dépeinte dans le rapport de 1838 comme la plus immorale et la plus dangereuse à beaucoup d’égards. C’est là que se rencontrent les plus grandes fortunes ; on cite un émancipé qui possède 40,000 liv. sterl. de revenu (1 million de francs). L’origine de ces fortunes rapides est la même pour tous. L’émancipé commence par tenir une taverne (public house) ; bientôt il prête sur gage ; enfin il devient propriétaire de terres et de grands troupeaux, qu’il achète fréquemment à ceux qui les ont dérobés. La plupart des émancipés sont ouvriers ou petits boutiquiers ; on leur attribue les trois quarts des crimes qui se commettent dans la colonie. C’est parmi eux que l’on trouve les voleurs de bétail, les receleurs d’objets dérobés, ceux qui vendent sans autorisation des liqueurs spiritueuses, les maraudeurs enfin. Cette classe d’hommes ne tardera pas à égaler en nombre les condamnés, et elle forme déjà un élément redoutable de la population.

Dans les colonies pénales, où, suivant l’expression de sir W. Molesworth, le vice est la règle et la vertu l’exception, l’intimidation peut seule imposer aux déportés un peu de retenue. Aussi leur conduite s’améliore-t-elle à mesure que le châtiment auquel ils sont soumis est plus rigoureux et plus immédiat ; elle devient plus désordonnée à mesure qu’ils jouissent d’une plus grande liberté. Le rap-