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côté droit était trop générale et trop violente pour ne pas tout chasser devant elle. D’ailleurs les royalistes, et ce ne fut pas une de leurs moindres fautes, enveloppaient dans la même antipathie les libéraux et les doctrinaires : à leurs yeux, ces derniers étaient aussi des ennemis de l’autel et du trône, et quelquefois même, par leur ton doctoral, ils inspiraient au côté droit plus de défiance et de colère.

Sous la restauration, on était doctrinaire quand on aspirait ouvertement à la double aptitude d’être homme d’affaires et d’être homme de doctrines. Dès 1814, quelques esprits distingués s’étaient jetés dans l’administration ; on débutait par l’activité pratique. Après les cent-jours et les emportemens royalistes de 1815, les mêmes hommes, dont plusieurs continuèrent d’occuper des positions administratives, cherchèrent à élever et à soutenir la pratique du gouvernement par un constitutionalisme théorique qui allait souvent chercher ses exemples en Angleterre. Dès que la chute de M. Decazes eut annoncé le triomphe des royalistes, les doctrinaires eurent le mérite de se jeter promptement dans l’opposition. Ils comprirent vite qu’il fallait quitter les affaires pour les théories, le rôle de défenseurs du pouvoir pour celui d’opposans. D’ailleurs, ils étaient jeunes ; ils retrouvaient avec plaisir les études graves, les travaux littéraires, et s’ils avaient fait des sacrifices à leur honneur politique, une popularité naissante les en dédommageait. Dans cette situation nouvelle pour eux, les doctrinaires ne furent pas moins impitoyables que les libéraux et les royalistes envers ceux qui, n’étant qu’hommes d’affaires, sans avoir l’orgueil des théories, gardaient leurs portefeuilles avec ténacité. Collègue de M. le baron Mounier et de M. de Serres sous le second ministère du duc de Richelieu, M. Pasquier fut plus que tout autre le point de mire des attaques de ceux qu’il devait bientôt aller rejoindre lui-même dans les rangs de l’opposition. Les hommes qui se targuaient d’avoir des doctrines trouvèrent piquant et utile à leur cause de faire la satire des aptitudes exclusivement pratiques de l’ancien fonctionnaire impérial. « On dit que M. Pasquier n’a point d’opinions, écrivait M. Guizot ; on se trompe, il en a une. C’est qu’il faut se méfier de toutes les opinions, passer entre elles, glaner quelque chose sur chacune, prendre ici de quoi répondre là, là de quoi répondre ici, et se composer ainsi chaque jour une sagesse qui suffise à la nécessité du moment… La situation de M. Pasquier a souvent varié depuis 1815, trop souvent, selon moi, même dans son propre intérêt… En 1815, il s’unit aux défenseurs de la France nouvelle, mais sans se déclarer l’ennemi de l’ancien régime ; il a servi