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Le cadre politique est tracé, défini : c’est maintenant à la société de s’y mouvoir avec puissance, d’y trouver son équilibre. Sous la restauration, les difficultés semblaient venir toutes de l’état imparfait des formes politiques : les hommes apparaissaient comme des géans que gênaient d’indignes obstacles ; quelle force ne devaient-ils pas déployer quand ces liens seraient tombés ! Aujourd’hui le champ est libre, les institutions sont plus avancées qu’on ne pouvait alors le prévoir et l’espérer. Tout est gagné du côté des choses ; mais que dirons-nous des hommes ?

Il y a eu certainement, depuis douze ans, de nobles forces dépensées au profit de l’intérêt public. Cette bourgeoisie, sommée à l’improviste d’accepter et de contenir une révolution, de porter le poids des plus lourdes affaires, n’a pas plié sous le faix, c’est beaucoup. Nous avons vu un homme tiré d’une maison de banque pour être soudainement placé à la tête du ministère se trouver non pas la science, mais le génie du gouvernement, car dans des choses capitales il a su vouloir et agir. C’est à côté de lui qu’ont fait leurs premières armes et qu’ont commencé de grandir les deux hommes qui se disputent aujourd’hui l’influence politique, et qui quittaient alors, l’un le bureau d’un journal, l’autre une chaire de professeur, pour monter au pouvoir. Les premières années qui ont suivi 1830 ont été fécondes en talens, en courages, en luttes dramatiques et vives. Victorieuse de l’ancien régime, la bourgeoisie a dû réprimer la démocratie extrême, et c’est après cette seconde victoire qu’elle a pu seulement reconnaître combien il était embarrassant de gouverner.

La situation est nouvelle et difficile. Les classes qui sont en possession de la puissance sociale n’ont plus devant elles un gouvernement suspect et hostile qu’elles pourraient dénoncer comme un obstacle malfaisant au bien qu’elles seraient tentées d’accomplir ; elles constituent elles-mêmes le gouvernement, elles disposent de la majorité partout où l’élection donne le pouvoir. Pas davantage ces classes ne sont gênées dans leur action par des partis violens ; de malheureux essais de guerre civile ne troublent plus la cité. Libres et puissantes, elles se trouvent donc responsables.

On peut voir, dans la sphère parlementaire, à la timidité de plusieurs actes, à l’indécision de certaines idées, combien cette responsabilité est sentie par ceux qui la portent. Il arrive parfois que, devant de grandes questions, leur regard se trouble ; aussi, de peur de s’égarer, ils s’abstiennent. L’histoire nous montre ce qu’il faut de