Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/449

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
443
DISCOURS PARLEMENTAIRES.

temps pour que des classes entières apprennent l’art de gouverner ; ajoutez qu’aujourd’hui leur noviciat est d’autant plus difficile que le pouvoir dont elles disposent, avant de savoir vraiment l’exercer, est plus grand.

Apprendre le gouvernement, contracter l’esprit politique, voilà donc quel doit être le but constant de la bourgeoisie française. C’est ici une ambition nécessaire, car, le voulût-elle, la bourgeoisie ne pourrait pas se décharger sur d’autres du fardeau que les circonstances à venir lui imposeront encore davantage. Dans le siècle dernier, un des hommes que ses contemporains aimaient le plus à lire leur indiquait ainsi ce qu’à ses yeux il y avait de plus sage à faire :

Je laisse au roi mon maître, en pauvre citoyen,
Le soin de son royaume, où je ne prétends rien.
Assez de grands esprits, dans leur troisième étage,
N’ayant pu gouverner leur femme et leur ménage,
Se sont mis par plaisir à régir l’univers.
Sans quitter leur grenier, ils traversent les mers ;
Ils raniment l’état, le peuplent, l’enrichissent ;
Leurs marchands de papier sont les seuls qui gémissent[1].

Toute cette satire aujourd’hui n’a plus d’application ; car, maintenant, quel est le député, quel est le publiciste qui, par la pensée, ne traverse pas les mers, et qui, tout en demeurant au troisième étage, ne veuille partager avec le roi le gouvernement de l’état ? Ce que Voltaire signalait comme un ridicule est devenu une nécessité : au reste, ce qui le choquait, c’était surtout l’impuissance où étaient réduits ceux qui entreprenaient ainsi de régir l’univers ; le poète ne se dissimulait pas les maux que peuple et bourgeois avaient à endurer, et il ajoutait :

On est un peu fâché, mais qu’y faire ?… Obéir.
À quoi bon cabaler quand on ne peut agir ?

Aujourd’hui, ceux auxquels Voltaire donnait ces conseils de patience peuvent et doivent agir : telle est la différence des temps.

Le premier des remèdes à appliquer au malaise moral dont nous nous plaignons est l’éducation politique de la bourgeoisie, car elle occupe seule le gouvernement, dont se tient encore séparé le côté

  1. Voltaire, les Cabales.