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droit du pays, et qui, sous peine de périr, ne saurait aujourd’hui pencher davantage du côté du peuple. Aussi, c’est à la bourgeoisie que s’adressent toutes les plaintes, toutes les espérances, toutes les accusations, tous les éloges : on s’aperçoit qu’elle est sur le trône. Les uns lui reprochent de ne pas répondre à l’attente de la société ; ils ne trouvent pas dans son gouvernement ce qu’après 1830 ils avaient espéré ; d’autres célèbrent sa sagesse, qui à leurs yeux est une garantie, une ancre de salut.

Nous ne dirons pas à la bourgeoisie que ces contradictions prouvent qu’elle a rencontré le milieu le plus juste dans les choses humaines ; nous croyons au contraire qu’elle doit beaucoup se préoccuper des reproches qu’elle encourt. Non que nous puissions un moment nous joindre à ceux qui prononcent contre elle les mots d’égoïsme incurable, de bassesse d’esprit et de cœur : il faut laisser ces déclamations aux calomniateurs systématiques ou aux enfans qui ne savent rien de la vie. Mais la bourgeoisie doit faire sur elle-même un travail d’examen et de réforme pour ne pas laisser dégénérer son gouvernement en une gestion mesquine d’intérêts étroits et souvent mal compris : puisqu’ils sont au pouvoir, les membres de la bourgeoisie doivent s’élever des préoccupations individuelles à l’esprit politique.

Dans l’intérieur d’une société, l’esprit politique consiste à faire avec précision la part de ce qui doit être conservé, maintenu d’une manière inébranlable, et de ce qui appelle des réformes motivées, nécessaires. Ceux qui ont le fanatisme de l’immobilité ne sont pas plus sages que ceux que possède la manie des innovations. Quand un gouvernement a contre lui à la fois les stationnaires et les utopistes, il peut penser qu’il est dans le vrai.

À l’extérieur, l’esprit politique consiste à soutenir la dignité du pays sans forfanterie comme sans faiblesse, à porter dans les rapports avec les peuples, dans les négociations avec les gouvernemens, toute la conscience et tout le poids de la grandeur nationale, à sentir ce qu’on vaut, à ne pas croire qu’à la première résistance il sera répondu par la guerre, à vouloir que dans le maintien d’une paix nécessaire, non pas à une seule puissance, mais à toutes, chaque cabinet apporte sa concession, et, s’il le faut, son sacrifice. En face d’états qui parcourent encore une période ascendante comme l’Angleterre et la Russie, la France doit apporter un soin d’autant plus jaloux à étendre son influence, à maintenir ses droits. Si en ce moment nous ne pouvons nous élever, au moins ne perdons rien.