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sonne, dit la loi, ne se servira de tabac, à moins d’avoir apporté au magistrat un certificat signé d’un docteur expérimenté en médecine, lequel attestera que le tabac est utile ou nécessaire à cette personne. Alors elle recevra sa licence et pourra fumer. Il est défendu à tout habitant de cette colonie de prendre du tabac publiquement, sur les grandes routes, etc., etc. » Les extraits des registres judiciaires relatifs à l’époque où le code bleu était en vigueur, offrent des détails beaucoup plus comiques, et d’une pruderie tellement indécente que notre plume, par égard pour le lecteur, ne peut reproduire ici qu’une faible partie de ces incroyables détails. Ces choses se passaient en 1660, dans un coin du monde, pendant le règne éclatant de Louis XIV et le règne débauché de Charles II. « Le 1er  mai 1660, on a fait appeler devant la cour Jacob Mac Murline et Sarah Tuttle pour les causes suivantes : le jour du mariage de Jean Potter, Sarah Tuttle alla chez mistriss Murline, à laquelle elle demanda du fil. Mistriss l’envoya en chercher dans la chambre de ses filles, où se trouvaient le marié Jean Potter et sa femme, tous les deux boiteux. Sarah Tuttle y alla, et, en causant avec les deux boiteux, se servit… d’expressions mal séantes relativement à cette circonstance. Alors entra Jacob Potter, frère de Jean Potter, et Sarah Tuttle ayant laissé tomber ses gants, Jacob les ramassa. Sarah les lui redemandant, il répondit qu’il ne les lui rendrait que si elle lui donnait un baiser ; là-dessus, ils s’assirent tous deux, Sarah Tuttle posant son bras sur l’épaule de Jacob, et Jacob tenant embrassée la taille de Sarah ; ils restèrent ainsi une demi-heure environ devant Marianne et Suzanne, qui témoignent aussi que Jacob donna un baiser à Sarah… » À ce propos, les témoins se suivent à la file, déclarant, certifiant, désignant où était le bras, où était le front, où étaient les lèvres, et circonstanciant ce baiser fatal avec une rigueur d’analyse qui mettrait toute la critique du monde aux abois, et qui remplit les trois pages les plus étonnantes, les plus pudiques et les plus impudiques, les plus sévères et, en définitive, les plus licencieuses qui se trouvent dans aucun roman, si bien qu’il est impossible de les transcrire. Jacob et sa complice non seulement sont admonestés, mais mis à l’amende, la cour déclarant que « c’est chose singulière et à déplorer éternellement que jeunesse ait de pareilles idées, et que les personnes de l’un et l’autre sexe se corrompent ainsi mutuellement. En ce qui concerne Tuttle, elle est une corruptrice injustifiable du discours et de la parole. Pour ce qui est de Jacob, sa manière et sa conduite sont inciviles, immodestes, corruptrices,