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VOYAGEURS AUX ÉTATS-UNIS.

blasphématrices et démoniaques ; » il ira en prison et paiera l’amende.

Pour s’être enivré, le pauvre Isaïe, domestique du capitaine Turner, paie cinq livres sterling, ce qui, eu égard au changement de valeur de l’argent, ressemble fort à trois cents francs d’aujourd’hui ; la servante Ruth Acie est fouettée pour avoir menti et reçu chez elle, la nuit, William Harding, le don Juan de la colonie ; Marthe Malbon reçoit le même châtiment pour avoir soupé avec ce même bandit de William Harding ; Goodman Hunt est chassé du Connecticut pour avoir mis au four un pâté destiné au susdit Harding, et mistriss Hunt, sa femme, ayant reçu ou donné un certain baiser relatif au même personnage, évidemment redoutable, est fouettée et chassée. Toutes ces exécutions, qui tombent, comme on le voit, sur des baisers et des pâtés, datent de janvier 1643. Notre don Juan William Harding poursuit sa carrière jusqu’en 1651 ; en décembre de cette dernière année, nous le retrouvons ; il a épuisé l’indulgence des juges, des pères et des maris. On le condamne « à payer cinq livres sterling à M. Malbon, cinq autres livres à M. Andrews, à quitter la colonie, et à être fouetté très sévèrement. » Triste fin pour un don Juan.

Telle était la législation calviniste qui a civilisé et préparé les États-Unis. Plusieurs des articles de son code bleu se font remarquer par leur terrible concision : « Aucun quaker ne recevra le logement ni la nourriture. — Quiconque se fera quaker sera banni, et, s’il revient, sera pendu. » Le crime des quakers, selon les puritains, était de ne pas vouloir tuer les sauvages. Les articles suivans valent encore mieux : « Art. 17. Le jour du Seigneur, personne ne courra ; on ne se promènera pas dans son jardin ni ailleurs, et l’on marchera seulement avec gravité pour aller à l’église ou pour en revenir. — Art. 18. Le jour du Seigneur, personne ne voyagera, ne fera la cuisine, ne fera le lit, ne balaiera la maison, ne se coupera les cheveux, ou ne fera sa barbe. — Art. 31. Il est défendu à tout le monde de lire la liturgie anglicane, de fêter la Noël, de faire des pâtés de hachis (mince-pies), de danser, et de jouer de tout instrument, le tambour, la trompette et la guimbarde exceptés. »

Voilà certes une civilisation bien peu semblable à cette civilisation chevaleresque qui instituait les cours d’amour, et qui, annonçant de loin la position des femmes dans les sociétés européennes, frayait la route à la galanterie, à ses graces, à ses raffinemens et à ses excès. La cruauté de ce code bleu, qui trouvait très mauvais que la jeunesse