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vu une, dit miss Martineau, qui, pour la commodité du service, avait ajouté à cet attirail coquet une paire de lunettes vertes. » Au moindre mot, à la plus légère observation, vous êtes menacé du magistrat par ces domestiques, dont en réalité les Américains sont les esclaves. On trouve plus commode et moins coûteux d’employer les services des garçons d’hôtel garni, qui sont mercenaires, mais actifs, obéissans et empressés.

La femme américaine ne s’attache donc à rien, elle n’a point de maison à tenir, personne ne cause avec elle, et ses prétentions à l’originalité de la pensée seraient plutôt un objet d’irritation et de mécontentement pour ses concitoyens qu’un honneur pour elle. Dans les maisons qui tiennent ménage, c’est le mari qui va au marché, sans doute par un sentiment délicat d’économie. Tels sont les portraits que nous donnent les voyageurs que j’ai cités, car je suis loin de prendre ou d’accepter la responsabilité personnelle de ces accusations. S’il faut se fier à eux, les femmes américaines, qui n’ont rien à faire, lisent beaucoup et ne réfléchissent guère. Elles savent en général plusieurs langues, mais l’activité de la pensée leur manque ; la seule faculté qu’elles cultivent est la plus humble de toutes, la mémoire. Jolies, d’une fraîcheur délicate et éblouissante dans la première jeunesse, douées de toute la finesse, de toute la bonté et de toute la grace que Dieu a départies à leur sexe, ayant du loisir pour cultiver leur esprit et élever leur ame, de la richesse pour s’entourer des élégances de la vie, que leur manque-t-il ? Une société plus intellectuelle, moins occupée de soins matériels, moins absorbée par le commerce ; une société plus chevaleresque, plus impétueuse, plus ardente pour l’idéal, moins concentrée dans l’intérêt. Il leur manque des juges qui les stimulent et les excitent. L’ancien monde, malgré ses nouveaux penchans démocratiques, diffère en cela de la jeune Amérique. Il doit la culture intellectuelle et la délicatesse exquise de ses femmes à l’ineffaçable trace de ses vieilles institutions, mêlées de vices et de grandeur, d’ombre et de lumière, incomplètes d’ailleurs, irrégulières et mauvaises à plusieurs égards, comme tout ce qui est de l’humanité. Il se trouve aujourd’hui que les institutions américaines, qui repoussent la chevalerie, qui s’appuient exclusivement sur l’intérêt personnel, produisent des résultats plus dangereux et de plus tristes effets.

Au surplus, l’avenir s’ouvre encore si vaste devant cette nation novice, et sa situation est si évidemment transitoire, qu’il serait