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ardentes, qu’il lance comme des flèches incendiaires dans son pays. J’en citerai seulement un échantillon qui pourra faire juger du reste :

« Arrachez les croix de la terre et faites-en des glaives. Le Dieu du ciel nous pardonnera. Ne vous fatiguez plus à écrire d’inutiles strophes. Mettez le fer sur l’enclume. Que le fer soit notre sauveur !

« Qu’on n’attende point de paix avant le jour de la liberté. Que nulle femme ne sourie à l’homme, que nul épi doré ne s’élève dans les vallons ! Que nul enfant au berceau ne jette un joyeux regard sur le monde avant le jour de la liberté !

« Que dans les villes tout soit en deuil jusqu’à l’heure où, du haut des remparts, la liberté agitera son drapeau ! Que les flots du Rhin tombent comme une malédiction sur le sable jusqu’à ce qu’ils répètent comme un coup de tonnerre le cri de la liberté !

« Arrachez les croix de la terre et faites-en des glaives. Le Dieu du ciel nous pardonnera. Tournez-les contre les tyrans et les lâches esclaves. Le glaive a aussi son sacerdoce, et nous voulons être ses apôtres. »

Un autre de ces chants est consacré à la haine, dernier refuge de l’opprimé :

« Allons, allons, au lever de l’aurore, de par-delà les fleuves et les montagnes ; un dernier baiser à la femme fidèle, puis prenons la fidèle épée ! Gardons-la jusqu’à ce que notre main se dessèche. Nous avons assez aimé, nous voulons enfin haïr.

« L’amour ne peut nous secourir, l’amour ne peut nous sauver. Commence tes mortels jugemens, ô haine ! brise nos fers, conduis-nous là où les tyrans imprudens nous bravent. Nous avons assez aimé, nous voulons enfin haïr.

« Que celui qui sent encore son cœur battre le dévoue à la haine ! Partout nous trouverons assez de bois sec pour allumer notre bûcher. Chantez à travers les rues allemandes : nous avons assez aimé, nous voulons enfin haïr.

« Combattez sans relâche les tyrans de la terre, et notre haine deviendra plus sacrée que notre amour. Gardons, gardons l’épée jusqu’à ce que notre main se dessèche. Nous avons assez aimé, nous voulons enfin haïr.

Ce livre a été, comme on peut le croire, marqué à l’encre rouge dans toutes les chancelleries, condamné par toutes les censures. On ne peut l’annoncer dans aucun catalogue ni en rendre compte dans aucun journal allemand, et, malgré la surveillance de la police, l’Allemagne en a épuisé en quelques mois trois grandes éditions.

Mais l’Allemagne répète aujourd’hui un hymne bien autrement révolutionnaire. La chanson de Becker dirigée contre la France, honorée par les rois, le peuple allemand la parodie pour injurier ses rois, et elle court de main en main, des rives du fleuve où elle fut inspirée jusque sur les froides plages de l’Oder. On nous l’a montrée à Dresde, on nous l’a chantée à Mannheim. Je la traduis mot pour mot dans sa rude expression :