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LA PRESSE ET LES ÉLECTIONS ESPAGNOLES.

parfaitement indépendant, ne représentant que les idées et les jugemens de son unique rédacteur ; attaquant tantôt la reine Christine, tantôt le régent Espartero, blâmant tour à tour exaltés et modérés, alliance française et alliance anglaise, plein de ce genre de bon sens qui caractérise l’ancien esprit espagnol et qui s’embarrasse peu des théories ; à la fois avancé à l’égard des autres en ce qu’il ne se jette pas dans le vague des idées et dans l’emportement des passions, et arriéré en ce qu’il ne sent pas le besoin d’une doctrine et la nécessité d’un mot de ralliement ; s’adressant enfin à cette masse immense du public qui, en Espagne plus encore qu’ailleurs, reste étrangère à la lutte qui se passe devant elle, et donne successivement tort aux deux partis.

Le Castellano est le journal de Madrid qui se vend le plus. Il a peu d’abonnés, mais il est crié et colporté dans la rue comme les journaux anglais. De petits cabinets de lecture mobiles s’établissent en plein vent, près de la Puerta del Sol et dans les autres quartiers les plus fréquentés de Madrid. Les journaux y sont dans des paniers que tient la plupart du temps un aveugle. Le passant s’arrête, embossé dans son manteau, lit son journal pour quelques maravédis, et continue son chemin. C’est surtout le Castellano qui a les honneurs de ces exhibitions foraines. Quand les autres journaux de Madrid perdaient de l’argent, il en a gagné. Ses frais sont très peu considérables. Il n’a ni la belle exécution ni la rédaction soignée de l’Heraldo et du Sol ; mais il est plus approprié qu’eux aux idées et aux habitudes de la nation, telles qu’elles sont encore du moins.

Le Corresponsal est moins individuel, moins essentiellement espagnol que le Castellano ; il se rapproche davantage du type européen des grands journaux politiques. Il a pris pour spécialité principale les questions matérielles ; c’est l’organe des intérêts catalans à Madrid.

Le parti républicain est représenté dans la presse de la capitale par un seul journal, le Peninsular (le Péninsulaire) ; ce nom de Péninsulaire lui vient de l’ancienne prétention du parti ultrà-progressiste de réunir toute la Péninsule, Espagne et Portugal, dans une seule république, fédérative ou non. Le Peninsular n’a ni beaucoup de crédit, ni beaucoup d’audace. Il est contenu par le peu de faveur que rencontrent à Madrid les idées qu’il représente. Ce serait une curieuse histoire que celle des tribulations de la presse républicaine en Espagne depuis l’avénement du gouvernement qu’elle a contribué à fonder. Le fameux journal l’Ouragan (el Huracan), qui était bien autrement vif que ne l’est aujourd’hui le Peninsular, a été contraint, à force de procès, de suspendre ses publications. Il avait imaginé, pour échapper aux persécutions de l’autorité, de paraître sans titre, mais cette ingénieuse innovation ne pouvait avoir qu’un succès passager. Un journal sans titre, c’est un corps sans tête. Le Peninsular a eu quelque temps recours, lui aussi, au même expédient ; mais il l’a perfectionné. Il a transcrit, en tête de sa feuille, pour remplacer le titre absent, l’article de la constitution qui établit la liberté de la presse, en ayant soin de mettre en capitales les lettres qui se rencontraient