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dans le texte, dans l’ordre nécessaire pour former son nom. Comprenez-vous ? C’est une nouvelle forme de journal, le journal-énigme ou le journal-acrostiche.

Après ces journaux, qu’on appelle indépendans, viennent les journaux ministériels, qui sont au nombre de trois : l’Iberia (l’Ibérie), le Patriota (le Patriote), et l’Espectador (le Spectateur). L’un de ces trois journaux, l’Espectador, représente le parti progressiste rallié, et particulièrement les anciens ministres Gonzalès et Infante ; les deux autres sont purement et simplement ministériels, et appartiennent tout entiers au cabinet actuel. Les uns et les autres sont sans influence et presque sans lecteurs.

Enfin viennent deux journaux qui sont pour Madrid ce que le Charivari est pour Paris. La Postdata (le Post-scriptum) est le Charivari du parti modéré, et la Guindilla (espèce de piment extrêmement fort), le Charivari du parti exalté. La Postdata publie des caricatures qui sont, le plus souvent, très plaisantes et très malignes. Le général-secrétaire Linage avec une plume gigantesque en guise d’épée, et le général-ministre Rodil, également armé du compas qui lui servait à tracer ses fameuses parallèles contre Gomez, en font les principaux frais. Le régent lui-même y comparaît souvent avec une face blême, allongée, et dans des accoutremens plus ou moins ridicules, le tout accompagné du cortége obligé de calembours, de chansons, d’épigrammes, enfin de tout un attirail satirique assaisonné du plus gros sel. Les Espagnols sont naturellement moqueurs ; leur ancienne littérature est pleine de bouffonneries. Aussi s’en donnent-ils à cœur joie depuis qu’ils sont libres, et, sous le rapport de la caricature, ils n’ont plus rien à désirer.

Voilà pour Madrid seulement, et nous ne parlons pas des revues, Revue de Madrid, Revue d’Espagne, qui paraissent tous les quinze jours, dans le genre des revues françaises, ni de plusieurs autres publications comme les journaux militaires ou religieux, qui n’ont qu’un rapport indirect avec la politique. Dans les provinces, le nombre des journaux n’est pas moins considérable ; il n’y a pas de ville un peu importante qui n’ait ses organes. Dans toute la Catalogne, les feuilles de Barcelone sont lues à l’exclusion de celles de Madrid, et il y a tel journal de Barcelone qui a autant de lecteurs qu’aucun de ses confrères de la capitale. À Sarragosse, à Valence, à Séville, à Malaga, à Cadix, à Bilbao, les feuilles locales sont également préférées à toute autre. On sait quel a été de tout temps l’esprit d’indépendance de chacun des royaumes dont la réunion a formé la monarchie espagnole ; cette rivalité de province à province se retrouve sous toutes les formes ; elle éclate dans la presse périodique comme ailleurs. Autant d’anciennes capitales, autant de centres de publicité, et toute cette foule de journaux trouve à vivre tout aussi bien, mieux quelquefois que la plupart de nos journaux de province.

Tel est aujourd’hui l’état de la presse politique en Espagne ; il était le même il y a trois mois quand la coalition s’est formée. À cette époque,