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REVUE MUSICALE.

de ses avantages, et sa voix nonchalante et molle, qui se prête encore admirablement aux cantilènes de Bellini et de Donizetti, n’a plus en elle ni la vigueur ni le mordant qu’il faut pour s’attaquer avec succès à la partie de Fernando, à ce rôle peut-être le plus énergique du répertoire de Galli. Il fallait donc s’en remettre à la Ninetta du soin de rendre son ancienne gloire à l’exécution du chef-d’œuvre L’entreprise était rude, je l’avoue, mais non impossible à mener à bien, et digne de l’émulation d’une grande cantatrice. La Malibran, la Sontag, la Grisi, se sont vues à de plus terribles épreuves. Malheureusement, soit qu’elle se trouvât indisposée, soit que la tâche fût véritablement au-dessus de ses forces, Mme Viardot a trompé toute l’attente de ses amis et du public, qui, prévenu par de récens échecs, s’était montré du reste assez peu empressé de se rendre à cette représentation. Après la célèbre cavatine d’entrée, dite froidement sans brio ni passion, on espérait encore : le trouble, l’émotion, qui s’emparent d’une cantatrice aux abords d’une création de semblable importance, pouvaient au besoin être invoqués. Mais, trois scènes plus tard, au retour de Gianetto, lorsque Ninetta s’élance vers son bien-aimé, dans un magnifique transport de tendresse, et qu’on a vu Mme Viardot, en face d’une pareille situation, d’une pareille musique, demeurer sans puissance et sans voix, et ne rien savoir faire de ce cri sublime, de ce cri de l’ame avec lequel la Malibran et la Grisi entraînaient la salle et savaient soulever en un moment de l’enthousiasme pour toute une soirée, alors le désappointement a commencé de se mettre dans le public. Le duo entre Ninetta et Fernando, et le trio si dramatique qui termine l’acte, sont venus encore augmenter pour la virtuose le nombre des défaites, et le chef-d’œuvre, qui ne demandait qu’à revivre sous le souffle d’une grande cantatrice, s’est traîné ainsi languissamment jusqu’à la fin, à travers l’indifférence et l’ennui. Il y a six ans, peut-être huit, la Ninetta était le plus beau rôle de la Grisi, à cette heureuse époque d’essais charmans et de préludes, la Grisi promettait d’être plutôt une virtuose de l’école de la Sontag et de Mme Damoreau que cette dramatique et superbe cantatrice qu’elle est devenue. Quiconque a l’habitude des Bouffes doit se souvenir de la fraîcheur délicieuse qu’elle répandait sur cette jolie cavatine de Di piacer, où sa voix, toute fière de sa limpidité naturelle et de son timbre d’or, semblait dédaigner de recourir aux ornemens usités d’ordinaire. Elle disait l’andante avec largeur et l’allégro avec une délicatesse, une grace, une précision exquises. Les rares changemens qu’elle introduisait étaient si habilement combinés, si bien motivés, qu’ils ne choquaient jamais personne. Avec elle du moins vous pouviez suivre la phrase du maître et vous oublier dans votre rêve musical, sans crainte d’en être éveillé tout à coup par quelques-uns de ces soubresauts insupportables que provoquent à chaque instant les vocalisations excentriques des cantatrices de l’école de Mme Viardot. À ce propos, nous dirons qu’on ne saurait trop s’élever contre une déplorable manie qu’un exemple illustre a malheureusement autorisée, et qui finira, si l’on n’y prend garde, par devenir la ruine de l’art du chant. Depuis la Malibran, toute cantatrice douée soit d’un contralto possédant quelques notes