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plutôt, comme on le disait alors, des beaux astres dont Louis XIV avait peuplé sa cour. Rien ne saurait donner une idée plus exacte des pièces de Racine que les fêtes même de Versailles. Imaginez-vous dans ce grand parc, autour de ce splendide palais où la royauté eut son Olympe, l’assemblage des plus étranges merveilles de l’art avec les beautés les plus simples et les plus touchantes de la nature : des arbres portant à leurs branches, comme des fruits de feu, des milliers de girandoles, des bassins de marbre au milieu desquels l’eau s’élève en aigrettes diamantées, des portiques lumineux au bout des allées profondes, des statues, des festons, des colonnes, et, à côté de ces effets si cherchés, quelque effet bien autrement propre à remuer le cœur, naissant tout simplement du rayon tombé d’une étoile sur la pâle verdure d’un gazon. Les créations de Racine présentent ces mêmes contrastes. Comme Versailles paré pour une fête, elles ont leurs sources artificielles de clarté et leurs ornemens d’une recherche magnifique ; mais, comme le parc, elles ont au-dessus d’elles un ciel pur et profond.

Phèdre, ainsi que toutes les autres tragédies de Racine, réunit les trois sentimens qui existent chez ce grand poète ; mais, il faut le reconnaître, l’amour de l’antiquité y domine, et y domine d’une façon triomphante. Les sentimens modernes se produisent d’une façon malheureuse dans le rôle d’Hippolyte. Ce caractère, entièrement antique, présentait cependant avec la religion des âges nouveaux de merveilleux rapports peu remarqués, quoique très saisissans, dont il eût été facile de tirer parti. Le commerce mystérieux plein d’ardentes et secrètes joies qu’entretiennent au fond des monastères les filles consacrées au ciel avec celui qu’elles nomment leur divin époux, ce commerce qui va jusqu’à tromper, tant sa puissance est souveraine, les instincts de notre nature terrestre, l’Hippolyte d’Euripide l’a connu, c’est avec Diane qu’il l’entretient. Comment ce jeune homme si robuste, dont les belliqueux plaisirs fatiguent les chiens et les coursiers, éprouve-t-il une complète tranquillité de sens sous un climat comme celui de la Grèce ? Comment ces prairies et ces bois dont Euripide dépeint la fraîcheur avec tant de poésie, ce ciel où rayonne un jour doré, ce sol fécond en fleurs et en sources d’eau vive, plein de murmures et de soupirs comme le sein même de Vénus, ne disent-ils rien à son cœur ? C’est qu’il porte au fond de son ame, ainsi que la vierge vouée au Seigneur, une image qui en bannit toutes les autres images ; c’est qu’il a sous les chênes des forêts les mêmes visions que la religieuse devant son prie-dieu. Dans cette admirable scène que le tragique français n’a point conservée, où l’on rapporte à Thésée Hippolyte mourant, Diane apparaît à son favori pour lui donner de mélancoliques consolations. Certes, ce n’est point là une mort semblable à celle d’une recluse ou d’un moine, car chez l’inspiré chrétien la mort est reçue avec des transports d’enthousiasme, tandis qu’elle cause toujours une tristesse sereine et profonde à l’ame païenne ; mais cependant il y a une évidente ressemblance entre la scène qui se passe dans le palais de Thésée et celle qu’ont vue les murs de mainte cellule : c’est le même secours arrivant