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VAILLANCE.

de ces plantes sauvages et vivaces qui aiment le grand air et s’épanouissent en plein vent. Chez elle, toutefois, la vigueur n’excluait point la grace, et ce qu’il y avait d’un peu viril dans le charme de sa personne, s’adoucissait au suave éclat de la jeunesse qui rayonnait sur son front et sur son visage. Peut-être aurait-on pu déjà lire dans ses yeux quelque chose d’inquiet et de rêveur, premier trouble de l’ame et des sens qui s’ignorent ; mais elle avait encore la bouche rose et volontaire d’un enfant capricieux et mutin. Ses cheveux noirs, déroulés par la pluie, pendaient en spirales humides le long de ses joues. Elle était coiffée d’une casquette de velours ; une amazone d’un goût sévère enveloppait tout entier son corps souple, élégant et flexible.

Elle alla droit au frère Jean, qu’elle embrassa, en disant : Bonsoir, mon oncle Jean ; puis, elle embrassa le frère Christophe, en disant : Bonsoir, mon oncle Christophe ; enfin, elle embrassa le frère Joseph, en disant : Bonsoir, mon oncle Joseph. Cela fait, elle s’approcha du foyer, et tout en présentant l’un après l’autre ses deux petits pieds à la flamme :

— Qu’est-ce donc, mes oncles ? demanda Jeanne ; on dit que vous étiez inquiets de votre nièce ? À Bignic, il n’est bruit que du trouble que mon absence a jeté dans votre maison.

— C’est, dit Jean, ce poltron de Joseph qui se met toujours de sottes idées en tête. Il s’est imaginé qu’à cause de la tempête, la côte n’était point sûre, et que tes jours étaient en danger.

— La tempête ! s’écria la jeune fille : il fait un temps charmant, Joseph.

— C’est ce que je me suis tué à lui dire, répliqua Christophe ; mais tu le connais, intrépide comme un lapin, et brave comme une poule : pour peu qu’il entende soupirer le vent, il croit que c’est la fin du monde. Et puis, il s’effrayait à cause de ce cheval que tu montais pour la première fois.

— C’est un agneau, dit Jeanne.

— C’est précisément ce que je lui disais, s’écria Jean : un agneau, un pauvre mouton bridé ! Mais depuis qu’un âne au trot lui a fait mordre la poussière, maître Joseph a voué une haine implacable aux chevaux.

— Chère enfant, dit Joseph, il n’est que trop vrai ; tu as été pour nous la cause d’un grand trouble et d’une vive inquiétude. Si tu nous aimes, ma Jeanne chérie, tu te montreras désormais plus soigneuse de notre bonheur.