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VAILLANCE.

— Tu es triste, ma Jeanne bien-aimée ? dit Joseph en lui posant doucement une main sur l’épaule.

Elle tressaillit.

— Triste ! moi ? s’écria-t-elle en relevant la tête ; pourquoi serais-je triste ? Je ne suis pas triste, Joseph.

— Jeanne, sais-tu, dit Christophe, qu’il y a bien long-temps que nous ne sommes allés à la pêche ?

— La pêche m’ennuie, dit-elle.

— Et la chasse ? demanda Jean. Quand irons-nous battre ensemble nos champs et nos guérets ?

— La chasse m’ennuie, dit Jeanne.

— Ce matin, après ton départ, nous avons reçu, ajouta Joseph, un ballot de livres et de romances.

— La chasse, la pêche, les livres et les romances, tout cela m’ennuie, répéta Jeanne.

Les trois frères se regardèrent d’un air découragé.

— Voyons, dit Christophe ; as-tu quelque désir qui nous ait échappé, quelque fantaisie que nous ayons négligé de satisfaire, quelque caprice que nous n’ayons pas su deviner ?

— Peut-être, reprit Jean, n’es-tu pas satisfaite des dernières parures qui sont arrivées de Paris ?

— Si ton manchon d’hermine te déplaît, s’écria Christophe, il faut nous l’avouer.

— Je gagerais, moi, s’écria Jean en se frottant les mains, qu’elle a envie d’un nouveau cachemire ?

— D’un cheval arabe ? dit Christophe.

— D’un fusil à deux coups ? demanda Jean.

— D’un épi de diamans ?

— D’une paire de pistolets ?

À chacune de ces questions, Jeanne secouait la tête d’un petit air dédaigneux et boudeur.

— Mais, mille millions de tonnerres ! s’écria Christophe aux abois, que te faut-il ? de quoi as-tu envie ? Quoi que ce soit, je te le donnerai, dussé-je pour cela remonter sur le brick la Vaillance et faire à moi seul la guerre au monde entier ! Parle, commande, ordonne ; veux-tu que j’apporte tous les trésors de l’Inde à tes pieds ?

— As-tu envie d’une étoile du firmament ? s’écria Jean, qui ne voulut pas se laisser vaincre en générosité ; j’irai la demander pour toi au Père éternel, et, s’il refuse, je la décrocherai du bout de mon épée, et reviendrai te la mettre au front.