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VAILLANCE.

IV.

Le lendemain, Jeanne se leva avec le jour. Elle ouvrit sa fenêtre ; l’air était doux et le ciel pur : le soleil promettait une de ces belles journées d’hiver qui semblent annoncer le retour du printemps. Excepté les serviteurs, tout le monde dormait encore au château. Sous prétexte de tuer le temps jusqu’à l’heure du déjeuner, la jeune fille revêtit son amazone, fit seller son alezan et partit au galop, accompagnée, cette fois, d’Yvon, qui la suivit à cheval, conformément aux ordres que lui avait donnés Joseph depuis la dernière équipée de l’enfant. Elle glissait, vive et légère, le long de la côte. Jamais elle ne s’était sentie à la fois si calme et si joyeuse. Pourquoi ? elle l’ignorait et ne se le demandait pas. À quelque distance du Coät-d’Or, elle aperçut de loin sir George, qui, debout et immobile, contemplait avec mélancolie la mer, en cet instant unie comme un miroir. Explique qui pourra les divinations de ces jeunes cœurs ! Aucun des serviteurs n’avait vu sortir l’étranger ; on pouvait présumer, sans faire tort à sa vigilance, qu’après les fatigues de la veille sir George reposait encore ; cependant, à l’insu d’elle-même, Jeanne, en partant, était sûre de le rencontrer. Au bruit du galop qui s’approchait, sir George tourna la tête et vit la jeune fille venir à lui, belle, fière et gracieuse comme la Diana du poète anglais. À quelques pas de l’officier, le cheval qui portait Jeanne se cabra sous la pression presque imperceptible du mors, et demeura immobile au temps d’arrêt.

Après l’échange des politesses obligées en pareille rencontre : — Sir George, dit la jeune fille, vous devez être plus à l’aise sur le pont d’un navire que sur la selle d’un cheval ; cependant, s’il ne vous déplaisait pas de faire avec moi un temps de galop, je vous offrirais de prendre la monture d’Yvon et de m’accompagner ; nous pousserions jusqu’à Bignic et reviendrions ensemble au château.

À ces mots, Yvon, qui venait de rejoindre sa jeune maîtresse, ayant mis pied à terre, le capitaine de frégate sauta en selle non sans quelque grace, et presque aussitôt les deux coursiers partirent de front et suivirent le sentier étroit qui se dessinait, comme un ruban sinueux, sur la côte. Jeanne remarqua tout d’abord que, pour un officier de marine, sir George était un très agréable cavalier, et qu’il