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— Je n’ai pas besoin de réparation, monsieur, répondit sir George avec noblesse ; les paroles que vous adressiez à un lâche ne sont point arrivées jusqu’à moi.

— Nous reconnaissons sir George pour un galant homme, dit Joseph.

— Sans doute, sans doute, ajouta Jean, et, puisque sir George tient absolument à coucher ce soir à Saint-Brieuc, je vais donner des ordres pour qu’on lui selle un cheval ; Yvon l’accompagnera.

— Comme il s’agit de votre repos plus encore que du nôtre, dit Christophe, je pense, monsieur, que nous aurions mauvaise grace à vouloir vous garder plus long-temps. Votre probité nous est un sûr garant que vous ne chercherez point à revoir notre nièce.

— Je vous en donne ma parole, répondit sir George avec une expression d’héroïque résignation.

Deux chevaux sellés et bridés piaffaient dans la cour du château. Près de s’éloigner, sir George promena autour de cette chambre qu’il allait quitter pour jamais un long et triste regard, puis d’une voix solennelle :

— Mes hôtes, dit-il, adieu ! adieu, franchise, honneur et loyauté que j’ai trouvés assis à ce foyer ! Adieu, grace et beauté dont j’emporte le parfum dans mon cœur ! Adieu, demeure hospitalière dont le souvenir me suivra partout ! Si mes vœux montent jusqu’au ciel, mes hôtes, vous aurez de longs jours exempts d’ennuis et de misères, et vous vieillirez dans la joie de vos ames, sous les ailes de l’ange qui habite au milieu de vous. Allons, messieurs, ajouta-t-il en tendant sa main ; ma main est digne de toucher les vôtres.

À ce moment suprême, les trois Legoff se sentirent émus. Ils s’étaient pris pour ce jeune homme d’une affection vive et sincère ; Joseph lui-même, malgré toutes les amertumes dont il l’avait abreuvé durant son séjour au Coät-d’Or, n’avait pu s’empêcher de rendre justice aux aimables qualités de sir George. En le voyant près de partir, sa paupière se mouilla de pleurs. Christophe lui ouvrit ses bras et le tint long-temps embrassé. Jean l’embrassa aussi à plusieurs reprises. Enfin, quand ce fut le tour de Joseph, ils se pressèrent l’un contre l’autre avec effusion et répandirent des larmes abondantes. Ils souffraient du même mal ; on eût dit que leurs douleurs se comprenaient.

— Vous êtes un noble cœur ! s’écria Joseph en sanglotant.

— Mais, mille tonnerres ! disait Christophe en essuyant ses yeux, pourquoi ce brave garçon a-t-il été s’amouracher de cette petite fille ?