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mens de l’église et les règles de l’abstinence. Quand sa mère prenait une nourriture trop substantielle, l’enfant refusait son sein comme pour lui reprocher sa faute, et il le refusait également les jours de jeûne et de carême. » On le mit à l’école avec son frère, qui fit de rapides progrès. Quant à Serge, il ne put entrer dans la science du monde : son maître le punit, ses camarades se moquèrent de son ignorance ; il s’efforça de suivre les leçons qu’on lui donnait, et ne parvint pas même à apprendre à lire. Un vieillard inconnu, vêtu d’une robe de moine, qu’il rencontra par hasard dans les champs, et à qui il raconta avec douleur les vaines tentatives qu’il avait faites pour s’instruire, prononça une prière avec Serge et lui remit un morceau de pain bénit en disant : — Je te donne ceci comme un signe de la grace de Dieu et de l’entendement des saintes Écritures. Puis il le reconduisit chez ses parens et lui ordonna de lire un psaume. L’enfant n’osait, le vieillard insista ; le petit Serge se soumit enfin à l’épreuve, prit le livre qui lui était indiqué, et le lut couramment. Le vieillard disparut en disant que cet enfant serait un jour le temple de la sainte Trinité. À partir de ce jour, Serge se livra avec ardeur à l’étude des Écritures ; il jeûna, pria, se macéra le corps, malgré les remontrances de sa mère, qui le conjurait de ménager ses forces. Son père, qui était un riche et puissant boyard de Rostow, fut ruiné par une invasion des Tartares, et se retira avec sa femme dans un couvent. Serge s’en alla, suivi de son frère, au milieu d’une forêt épaisse, éloignée de toute habitation ; puis il construisit, à quelque distance d’un ruisseau, une hutte pour lui servir de demeure, et une église qu’il consacra à la sainte Trinité. Telle fut l’origine du riche couvent de Troïtza (Trinité). Bientôt le frère de Serge le quitta ; le saint resta seul dans sa sombre retraite comme un anachorète de la Thébaïde, exposé à la faim, à la soif, aux rigueurs du froid et aux attaques des bêtes féroces. À l’âge de vingt-quatre ans, Serge se fit sacrer prêtre par un abbé qui vint le voir. Il soutint vaillamment les combats de la chair, la lutte des passions, se jetant à genoux chaque fois qu’il sentait une tentation mondaine s’éveiller dans son cœur, et se confiant à Dieu en face de tout danger. Un jour il rencontra dans le bois un ours affamé, et lui présenta un morceau de pain. L’ours se traîna à ses pieds, accepta la pauvre nourriture du solitaire, et revint de temps en temps lui faire une humble visite.

Cependant l’odeur de sainteté du cénobite se répandit dans les environs ; des hommes pieux vinrent le trouver et lui demander la permission de s’associer à sa vie austère. Il se forma autour de lui une communauté de douze religieux, qui se bâtirent des cellules à l’imitation de la sienne, et le choisirent pour leur supérieur. Cette communauté récitait dans la petite église les matines, les vêpres, les cantiques ; l’office divin terminé, Serge se livrait avec un dévouement infatigable aux plus rudes travaux. C’était lui qui fendait le bois pour les autres frères, portait le grain au moulin, pétrissait la pâte, allait puiser de l’eau pour les cellules, et cousait les vêtemens et les chaussures nécessaires à la communauté. Investi par un vote unanime de la dignité de supérieur, il ne changea rien à ses modestes habitudes ; il travaillait plus