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LA RUSSIE.

Les prêtres du clergé blanc sortent en grande partie des petits séminaires, où ils ne reçoivent qu’une instruction très incomplète. Ils sont placés dans les paroisses de campagne ou dans les domaines seigneuriaux, et portent le titre de popes. Quelques-uns, ayant étudié dans les académies ecclésiastiques, obtiennent par là le droit d’entrer dans un presbytère plus important, et d’arriver au rang des protopopes, qui remplacent à peu près nos curés de canton. Dès leur entrée en fonctions, tous doivent être mariés ; s’ils deviennent veufs, ils ne peuvent se remarier de nouveau, et sont forcés d’abandonner leurs cures pour se retirer dans un couvent. Aussi n’y a-t-il pas de femme plus choyée que la femme d’un pope russe, et pas un sort n’est plus enviable que le sien dans les conditions obscures de la vie. Elle peut être tant qu’elle voudra nerveuse et capricieuse : son mari, si rude qu’il soit, se gardera bien de contrarier ses fantaisies. Au moindre danger qui la menace, il a peur de perdre avec elle ses joies paternelles, son toit, sa liberté. La pauvre femme, de son côté, a grand intérêt à ménager les jours de son mari, car, s’il vient à mourir, elle est forcée de quitter l’humble domaine qui entoure le presbytère, et se trouve seule dans le monde, sans ressource aucune et sans autre espoir que celui de rencontrer par hasard quelque jeune prêtre qui, au sortir du séminaire, daigne l’épouser.

Pour se consoler de leur retraite et de leur célibat, les popes qui entrent au couvent après leur veuvage ont une perspective qui leur était rigoureusement fermée tant qu’ils vivaient dans les liens du mariage. Ils peuvent alors aspirer aux titres suprêmes de la hiérarchie ecclésiastique ; mais il est rare qu’ils s’abandonnent à cette pensée ambitieuse, et bien plus rare encore qu’ils la réalisent. Leur savoir est trop borné, leurs habitudes sont trop rustiques, pour qu’ils puissent décemment remplir quelques fonctions élevées. Le progrès qui se manifeste de toutes parts en Russie n’a pas encore pénétré dans les rangs du bas clergé, ou, s’il commence à y pénétrer à présent, on n’en distingue pas encore les résultats. Tels les popes étaient il y a deux siècles, tels ils sont pour la plupart aujourd’hui, incultes et sans élan, conservant des mœurs grossières ou souillés de vices impardonnables. Les Russes reprochent à notre clergé de s’immiscer dans l’examen des questions politiques, dans les actes du gouvernement, et ils ne remarquent pas que, si nos prêtres sont parfois un peu trop ambitieux, les leurs tombent de plus en plus dans une nullité désespérante ; que les nôtres sont les premiers maîtres de l’enfance, les premiers instituteurs du peuple, et que les leurs n’exercent pas la moindre influence sur les communautés confiées à leur direction ; que notre clergé enfin est souvent à la hauteur des idées les plus avancées de l’époque, et que le leur est en arrière de toutes les classes civilisées de la Russie. Non certes, il n’y a pas de danger que les pauvres popes s’avisent jamais de commenter les articles d’un ukase impérial et d’en entraver l’exécution ; mais leur soumission absolue aux lois du pouvoir temporel n’est point le résultat d’une humilité éclairée : c’est le fait d’une ignorance passive, impuissante et résignée. Dans beaucoup de presbytères, les popes ne se distinguent de leurs