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paroissiens les plus grossiers que par leur robe et leur coiffure. Le paysan les respecte quand il les voit à l’église ; hors de là, il les traite avec une insultante familiarité. Il y a parmi le peuple russe des sarcasmes particuliers, des proverbes injurieux qui ne tombent que sur les popes, des superstitions qui les offensent et qui se perpétuent de siècle en siècle. Qu’un Russe prêt à entreprendre un voyage rencontre sur sa route un pope, il regarde cette apparition comme de mauvais augure et crache à terre pour détruire l’influence sinistre qui le menace. Qu’on invite à s’asseoir à table un Russe qui a déjà dîné : Croyez-vous, dit-il, que je sois un pope, pour dîner deux fois ?

L’éducation religieuse que les popes donnent aux enfans n’exige pas de leur part de grandes connaissances. Ils remplacent le raisonnement par la prière, l’instruction par les pratiques traditionnelles. À peine un enfant est-il né, qu’au risque de le faire mourir on le plonge trois fois dans l’eau du baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; à peine a-t-il l’usage de la parole, qu’on l’oblige à se confesser et qu’on l’admet à la communion. Quelquefois même, quand il tombe malade, on lui donne la communion comme un remède temporel. Les pauvres popes ne peuvent pas enseigner ce qu’ils ne savent point. Dans les séminaires, ils ont appris machinalement par cœur quelques résumés d’histoire et de géographie en latin et en russe sans y recueillir aucune idée. Ils s’en tiennent à la lettre même des leçons qu’on leur donne et ne poussent pas plus loin leurs investigations ; les dogmes de l’église leur sont expliqués avec une précision minutieuse, systématique, et quand ils subissent un examen, ils n’ont qu’à répéter mot pour mot les réponses qu’ils ont dû graver dans leur mémoire ; il ne leur est pas permis de s’écarter de la ligne rigoureuse qui leur est tracée, de se laisser aller à une fantaisie de symbole ou de dissertation. Un jeune écrivain allemand[1] qui a passé plusieurs années en Russie cite un curieux exemple d’un de ces examens. Les jeunes séminaristes sont réunis autour d’une urne qui renferme diverses questions écrites en latin ; l’un d’eux prend celle-ci : Quid est angelus ?


Le Prêtre. — Bien ; dites-moi, je vous prie, qu’est-ce qu’un ange ?

L’élève. — C’est un esprit saint qui sert Dieu dans le ciel.

Le Prêtre. — C’est juste. Combien y a-t-il d’anges au ciel ?

L’élève. — Il y en a une quantité qu’il serait difficile d’énumérer.

Le Prêtre. — Pardon ; on peut très bien l’énumérer. Qui d’entre vous peut me dire combien il y a d’anges au ciel ?

Un autre élève. — On en compte douze légions.

Le prêtre. — Et combien dans chaque légion ?

L’élève. — Au temps où la Bible fut écrite, chaque légion se composait de quatre mille cinq cents anges.

Le prêtre. — Prenez la craie et faites-nous sur le tableau cette multiplication.

  1. Kohl, Reisen im inneren von Russland und Polen.