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LA RUSSIE.

l’archevêque de Novogorod exerça vers la fin du xve siècle contre la secte juive[1]. Les autres furent l’œuvre d’un gouvernement qui, sous une apparence de zèle religieux, cachait une intention de conquête et une idée de souveraineté absolue. L’église même a mis l’épée dans le fourreau et s’est vouée à une existence passive : elle écrit peu et prêche peu. Du commencement à la fin de l’année, elle répète son cri de miséricorde, son Kyrie eleison, et n’enseigne à ses prosélytes que des pratiques d’humilité. Subjuguée dès les premiers siècles de son origine par le despotisme de l’Orient, et privée par son schisme du puissant appui qu’elle aurait trouvé dans la papauté, elle n’a pu, comme l’église de Rome, se mêler aux grandes agitations sociales du moyen-âge, intervenir dans la cause des peuples et des rois, distribuer des empires et briser des couronnes. Les tsars moscovites ont assoupli le clergé russe à leur volonté, et en ont fait un instrument de leur ambition ou un jouet de leur caprice. Au xvie siècle, Ivan IV, surnommé à juste titre le terrible, chassait les métropolitains de leur siége, jetait en prison ceux qui avaient le courage de condamner ses crimes, pillait les églises, enlevait les trésors des couvens. L’archevêque Levnidas, de Novogorod, ayant refusé de consacrer le quatrième mariage d’Ivan, le farouche grand-duc le fit coudre dans une peau d’ours et déchirer tout vivant par des chiens. Après avoir répudié trois femmes, assassiné son fils, il insultait encore à la religion, en envoyant, comme une suffisante expiation de ses scandales, une aumône aux quatre patriarches d’Orient.

Sur la fin de son règne, ce prince cruel gouvernait le clergé de ses états avec un pouvoir absolu. Il avait enlevé aux évêques leurs priviléges de juridiction, il assemblait lui-même les conciles et décidait en dernier ressort de toutes les affaires spirituelles. Les prélats devaient obéir à ses ordres comme s’ils venaient de Dieu même, et, par un ukase du 12 avril 1552, il institua un tribunal de laïques pour veiller à la moralité des prêtres[2]. L’ordonnance qu’il rédigea pour ce tribunal est un des documens historiques les plus curieux qui existent. Elle se compose de cent articles, et offre une triste peinture de l’ignorance, de la superstition et de la grossièreté de mœurs de la Russie au xvie siècle[3]. Qu’il nous soit permis d’en citer quelques

  1. Cette secte professait un dogme mêlé de judaïsme et d’athéisme. Elle fit de rapides progrès, et, pour la détruire, on eut recours aux moyens les plus barbares. L’archevêque de Novogorod condamnait les hérétiques à d’affreux supplices, et quelquefois les faisait jeter sur des bûchers ardens.
  2. J’emprunte la plupart de ces détails à un ouvrage très intéressant qui doit paraître prochainement en français et en allemand : De l’Église ruthénienne et de ses rapports avec le saint-siége, par M. Aug. Theiner. Chez Débécourt.
  3. On a publié, il y a quelques années, à Londres, un autre document qui donne une singulière idée de l’ignorance ou de la fourberie des prêtres russes. C’est un passeport pour l’autre monde délivré, le 30 juillet 1541, par un métropolitain de Kieff, et adressé directement à saint Pierre. Les prêtres accordaient ces recomman-