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LA LITTÉRATURE ILLUSTRÉE.

du moyen fantastique n’est pas arbitraire. L’apologue ni l’épopée ne conviennent à toutes les époques. La fable est la forme un peu enfantine de la pensée qui n’est pas encore affranchie, et qui, comme la femme esclave de l’Orient, ne se montre que voilée. Il a fallu une époque de despotisme pour produire La Fontaine. Le charme de l’apologue est dans l’espèce d’énigme qu’il propose à l’esprit et dans le plaisir que celui-ci éprouve à la deviner. Aussi Montesquieu, écrivant dans un siècle où un mot suspect était payé de la Bastille, parle-t-il beaucoup par apologue.

Si donc littérairement la fable appartient surtout aux civilisations primitives ou opprimées, dans l’art d’imitation elle ne peut servir qu’à faire une caricature à la longue monotone. Ce n’est pas qu’on doive absolument répudier le parti qu’on peut tirer du rapprochement spirituel du type humain avec le type bestial. Les scènes satiriques des panneaux de Chantilly, les fantaisies profondément observées de Decamps, prouvent que les expressions et les occupations de l’homme peuvent très bien, par une métempsycose matérielle, se transmettre à des figures d’animaux. Il y a même, dans cet ordre de peinture ou de gravure, un genre d’effets plein de nouveauté, qui appartient au sentiment d’analogie ; mais ces effets ne sont obtenus qu’à la condition que les lois d’analogie soient toujours rigoureusement observées, et qu’en voulant atteindre au résultat comique du rapprochement de deux types, on maintienne l’équilibre entre eux. M. Grandville n’est sans doute pas dépourvu de ce sentiment d’analogie. Il sait trouver des rapports justes, quoique lointains, entre les attitudes, les fourrures et les plumes des différens quadrupèdes et bipèdes, et les formes, les poses et les vêtemens de l’homme. Il sait quelquefois prêter fort spirituellement nos coutumes les plus excentriques à d’humbles bêtes dont il ne détruit pas d’ailleurs l’identité. C’était le seul moyen de rendre pour nous ses représentations d’animaux plus intéressantes que des planches d’histoire naturelle. Sous ce rapport, il a mieux compris que son prédécesseur Oudry l’illustration des fables de La Fontaine. Le célèbre peintre d’animaux du siècle dernier n’a point cherché à reproduire la mise en scène et le caractère de ces fables ; il s’est contenté de placer les animaux, en présence les uns des autres, au milieu de vastes paysages. Il a esquivé la difficulté par une énorme dépense d’accessoires. Il ne s’est pas plus occupé de l’expression que du dialogue présumé des interlocuteurs. Si on excepte quelques fables, comme celle de la cigogne et du renard, où l’on aperçoit quelque velléité de traduire les intentions et