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REVUE DES DEUX MONDES.

non-seulement reproduit le mouvement d’esprit d’une nation, mais encore les questions actuelles qui, en art, en littérature, en politique, préoccupent et passionnent les esprits. Elle sait conserver l’équilibre entre les faits intellectuels de la vie d’un peuple, elle les distribue sinon dans un ordre rigoureux, du moins dans un ordre suffisant, pour qu’à la fin de l’année, le lecteur se trouve instruit de tous les grands évènemens littéraires de son pays. Une revue d’ailleurs s’adresse aux esprits d’élite qui ont leur éducation faite, qui ont un ensemble d’idées sur les questions de philosophie et de poésie. Elle ne les promène donc pas de détours en détours dans une route sans but. Elle ne se propose pas l’instruction des lecteurs ; elle la suppose au contraire. Mais il n’en est pas de même pour les magasins pittoresques qui s’adressent surtout aux enfans, au peuple, à toute la partie la plus ignorante de la société, incapable de discerner, dans cette grande confusion de choses et d’idées, le lien, le rapport de ce qu’il doit savoir avec ce qu’il doit ignorer. Ce que les magasins pittoresques dépensent pour la gravure, ils sont obligés de l’économiser sur la partie littéraire ; ils traitent nécessairement les questions avec moins d’étendue. Ils sont contraints de concilier les conditions rivales des idées et des gravures, et, dans ce conflit, c’est presque toujours la partie pittoresque qui l’emporte sur la partie littéraire. Souvent même des gravures sur bois, déjà faites pour une publication, servent ensuite pour d’autres ouvrages ; il ne s’agit plus que de leur trouver un nouveau commentaire, un nouveau prétexte de les éditer. Comme c’est aux yeux plutôt qu’à l’intelligence qu’on s’adresse, comme c’est sur l’élément pittoresque plutôt que sur le mérite de science ou de style que l’on fonde ses espérances de succès, les magasins et les musées ne font que précipiter la décadence, pour nous visible et incontestable, de toutes les formes de la pensée.

Le grand nombre des publications pittoresques a donc eu deux résultats également funestes à la littérature. En illustrant des œuvres anciennes, loin de donner à celles-ci une nouvelle valeur d’art, la gravure n’a fait que nuire au texte, que détruire l’impression poétique de la lecture. Elle a aidé à remettre en lumière des œuvres justement oubliées. Quant aux productions autochtones, tirées de son propre fonds, elle a encore été littérairement plus nuisible. L’esprit des deux arts, comme il a été démontré, n’est pas le même ; Hogarth, commenté par Swift, eût fait perdre à ce dernier sa réputation d’homme spirituel. L’esprit exige en toute chose la spontanéité,