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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

cien émir Dost-Mohamed. Cet homme supérieur, qui serait sans aucun doute parvenu à rétablir la monarchie des Afghans, si les Anglais n’étaient venus arrêter sa fortune, était beaucoup plus craint qu’aimé des chefs des tribus, et ceux-ci n’étaient pas fâchés de le savoir prisonnier à Loudiana. Mahomed-Akbar, afin de rompre tout arrangement dont la délivrance de son père ne serait pas une condition, voulut forcer les chefs à « brûler leurs vaisseaux ; » et, pour les amener à ses fins, il voulut leur montrer que les Anglais eux-mêmes n’étaient pas de bonne foi. Le malheureux envoyé donna dans le piége avec un inconcevable aveuglement. Non-seulement il accepta les propositions perfides qui lui étaient faites, mais, comme gage de sa parole, il remit aux émissaires du sirdar un papier écrit de sa main en langue persane, et qui fut montré aux chefs. Contrairement à ses habitudes, il ne confia à personne cette fatale résolution, et ce ne fut que le lendemain, quand il pria les capitaines Trevor, Lawrence et Mackenzie, de l’accompagner, qu’il leur fit part du projet qu’ils étaient appelés à exécuter avec lui. Le capitaine Mackenzie lui dit que c’était évidemment un complot formé contre lui. « Un complot ! répondit sir William ; laissez-moi faire, fiez-vous à moi là-dessus. » Puis il donna ordre au capitaine Lawrence de rester à cheval pour galoper jusqu’à la citadelle et prévenir le roi. À toutes les objections qui lui furent faites, il répondit : « Il y a du danger, mais la chose en vaut la peine. Dans tous les cas, j’aime mieux mourir cent fois que de vivre encore six semaines comme celles que je viens de passer. » Il avait prié le général Elphinstone de tenir deux régimens tout prêts à faire une sortie. Quand il partit, rien n’était préparé ; il haussa les épaules et dit : « Au reste, c’est comme cela depuis le commencement du siége. »

À peu de distance du camp, sir William fit faire halte à sa petite escorte, et s’avança avec ses trois officiers à cinq ou six cents pas du rempart. Là ils rencontrèrent le sirdar accompagné d’Amenoulah-Khan et des principaux chefs. Après les salutations habituelles, l’envoyé offrit au sirdar un superbe cheval qu’il venait de payer 3,000 roupies. Mahomed-Akbar le remercia de son présent, et aussi d’une paire de pistolets que sir William lui avait envoyés la veille avec sa voiture et deux chevaux. C’est avec un de ces pistolets que le sirdar allait tout à l’heure assassiner l’envoyé.

On étendit à terre des couvertures de chevaux, à l’endroit où la neige était le moins épaisse. Sir William s’assit à côté du sirdar, ayant derrière lui les capitaines Trevor et Mackenzie. Mahomed-