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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

put accepter ces conditions désespérées, et donna l’ordre de reprendre la marche.

Les Anglais firent encore cinq milles dans un étroit défilé sous le feu de l’ennemi qui couronnait les hauteurs. Quinze officiers tombèrent seulement pendant ce trajet. Le capitaine Skinner retourna auprès du sirdar, qui fit encore la même réponse et les mêmes offres ; le général ne pouvant les accepter honorablement, tout espoir de ce côté fut perdu. On se remit en marche. Le dernier canon fut abandonné, avec un médecin blessé qui y avait été attaché avec des sangles, et que les soldats, qui l’aimaient beaucoup, avaient jusqu’à ce moment réussi à sauver. La nuit tomba encore sur cette scène d’horreur.

Le 11 janvier, la famine et la soif se firent sentir d’une manière terrible. La chair crue de trois taureaux qu’on avait pu sauver fut partagée entre les soldats, qui la dévorèrent avec rage. La neige, qu’ils mangeaient avidement, ne fit qu’accroître leur soif. Un messager du sirdar vint chercher le capitaine Skinner, qui revint quelques heures après, porteur d’une proposition d’entrevue. Le général partit avec deux officiers ; Mahomed-Akbar les reçut avec les plus grandes démonstrations de bienveillance, leur fit servir des vivres, et les conduisit dans une petite tente, où, pour la première fois depuis leur départ de Caboul, ils purent jouir d’un sommeil tranquille.

Le 12 janvier, il y eut une conférence entre le général et le sirdar, qu’étaient venus joindre plusieurs chefs ; mais rien n’y fut décidé. La journée se passait, le général pressait vainement Mahomed-Akbar de le faire reconduire au milieu de ses soldats. À sept heures, on entendit recommencer la fusillade, et on apprit que la petite troupe, se croyant abandonnée, avait repris sa marche. Le capitaine Skinner, qui était resté avec les soldats, s’étant avancé pour faire une reconnaissance, reçut un coup de pistolet à bout portant dans la figure. Il fut rapporté au camp, et mourut dans la nuit. Le découragement était au comble. Les malades et les blessés durent être abandonnés ; les débris de la troupe s’engagèrent encore dans un défilé impraticable où chaque homme était ajusté comme une bête fauve. Douze officiers tombèrent l’un après l’autre. Une cinquantaine d’hommes, mieux montés que les autres, parvinrent seuls à sortir du passage.

Quand les Afghans purent voir le petit nombre de leurs adversaires, ils poussèrent des cris de triomphe sauvages, et, se jetant sur eux le sabre à la main, terminèrent enfin cette lutte inégale.

Douze hommes restaient encore et galopaient en avant ; six tom-